J’ai beaucoup pensé à ces personnes qu’on appelle lanceurs d’alerte, dénonciateurs, plaignants, divulgateurs ou whistleblowers cette semaine. J’ai pensé à tous ces gens qui font preuve d’un courage peu commun, car ils font souvent, pour ne pas dire tout le temps, un geste en ne pensant qu’au bien public au détriment de leur propre bien. Non, le lanceur d’alerte n’est pas un délateur ni un traître. Un lanceur d’alerte, par définition, est de bonne foi et animé de bonnes intentions.

J’ai pensé entre autres à l’agronome Louis Robert, à l’employée du CHSLD de Saint-Laurent Marie-Anne Labelle et même à Allan Cutler, whistleblower du scandale des commandites. L’agronome Louis Robert, qui avait dénoncé en 2019 l’ingérence des entreprises privées dans la recherche publique, dévoile les pressions indues de l’industrie des engrais et des pesticides dans son livre Pour le bien de la terre, publié cette semaine. Je me rappelle surtout que le lanceur d’alerte avait été congédié, puis qu’il avait été réembauché grâce à la pression populaire.

Marie-Anne Labelle était aide de service au CHSLD de Saint-Laurent en vertu du programme « Je contribue ». Je dis bien « était », car elle a été congédiée peu après avoir dénoncé dans Le Devoir les conditions de vie inacceptables dans lesquelles les résidants étaient maintenus. Elle a diffusé des photos et des vidéos, ce qui aurait justifié son congédiement, selon le CHSLD. Selon ses dires, elle a parlé de la situation à sa supérieure immédiate et au chef infirmier avant de la dénoncer publiquement. Une plainte aurait aussi été déposée par une de ses collègues au Commissariat aux plaintes et à la qualité des services pertinents.

« L’omertà dans le réseau de la santé, c’est terminé », a dit cette semaine le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé. Vraiment ? Permettez-moi d’en douter.

J’ai pensé à toutes ces personnes qui dénoncent en milieu de travail des situations inacceptables, souvent aberrantes, inhumaines et intolérables. L’impression ici est que le système aime mieux protéger les coupables, les incompétents, les mauvais employés, cadres ou non.

Il est bien plus facile de rendre la vie des lanceurs d’alerte misérable que de régler le problème dénoncé. On se sert de détails techniques, de faux motifs, on monte des dossiers et, vlan, on congédie. Ça débarrasse le système d’un employé encombrant et ça sert d’exemple pour les autres employés qui y songeront deux fois plutôt qu’une avant de dénoncer une situation.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

L’agronome Louis Robert

Un lanceur d’alerte prend des risques réels au nom de la cause qu’il entend défendre et diffuser. Santé financière ou santé tout court, vie familiale : souvent, tout y passe. Poursuites-bâillons pour tenter de le censurer, de nuire à son image, de le ruiner. Sans oublier les représailles de toutes sortes, y compris le congédiement dans son milieu de travail avec peu de chances de se replacer ailleurs.

Au Canada, dans le secteur public fédéral, la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles est entrée en vigueur le 15 avril 2007, à la suite du scandale des commandites sous le gouvernement libéral de Jean Chrétien et aux dénonciations du lanceur d’alerte, le fonctionnaire Allan Cutler. C’est le Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada qui est chargé d’appliquer cette loi.

Au Québec, le Protecteur du citoyen est chargé d’appliquer la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics. Mais il ne traitera pas des alertes remettant en cause le bien-fondé des politiques et des objectifs de programmes du gouvernement ou d’un organisme public.

De plus, la loi ne protège pas les lanceurs d’alerte au municipal et dans les entreprises privées qui font affaire avec l’État. Elle ne protège pas non plus les fonctionnaires lanceurs d’alerte qui ont dénoncé des situations auprès de médias.

Le 2 mars dernier, le Canada s'est retrouvé au bas d’un classement international des pays offrant une protection aux divulgateurs d’actes répréhensibles (whistleblowers). Imaginez, le Canada est derrière le Bangladesh, le Pakistan et le Botswana.

Le rapport publié par le Government Accountability Project, établi aux États-Unis, et par l’Association internationale du barreau, établie au Royaume-Uni, a évalué les structures de dénonciation de 37 pays dotés de telles lois afin de déterminer leur efficacité réelle. « Trop souvent, les droits qui semblent impressionnants sur papier ne sont qu’un mirage de protection en pratique », selon les auteurs principaux de l’étude. Le Canada se place à égalité avec le Liban et la Norvège, avec les lois de protection les plus faibles au monde. Les plus faibles au monde ! Honteux !

Le problème est qu’il n’y a aucune volonté politique d’effectuer les changements nécessaires sauf quand un parti est dans l’opposition. Il jure qu’il apportera les correctifs nécessaires. Malheureusement, une fois au pouvoir, le recul stratégique est de mise, car il ne veut plus d’une loi qui le priverait de ses coudées franches.

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