Le 15 avril 2016 se sont réunies, à l’occasion du Forum Jeunes et santé mentale – Pour un regard différent, plus de 150 personnes préoccupées par la réponse offerte par les services publics aux difficultés vécues par des jeunes souvent marginalisés. On y a déploré l’accès limité à l’accompagnement psychosocial et les obstacles nombreux vers un suivi en santé mentale.

On y a remis en question la place du médicament comme première et parfois seule réponse aux difficultés exprimées par les jeunes. Tristan Ouimet Savard, alors du Regroupement des Auberges du cœur du Québec, a exprimé ces questionnements lors d’une entrevue avec Radio-Canada : « On peut se demander clairement si c’est plus facile de prescrire un médicament, ou bien d’offrir un soutien psychosocial qui prend le temps que ça prend pour que le jeune traverse une crise. Est-ce que c’est plus efficace ? À court terme, sans doute, à long terme, rarement1. »

Le médicament a sa place, mais il prend toute la place !

La consultation d’il y a cinq ans, menée largement au Québec auprès de jeunes, mais également d’intervenants qui les accompagnent au quotidien, a démontré que le médicament prenait de plus en plus de place pour répondre aux difficultés vécues par les jeunes. Des intervenantes des Auberges du cœur donnaient l’exemple des armoires à pharmacie qui débordent, les multiples ordonnances, parfois contradictoires, et qui s’accompagnent rarement d’une information claire sur les effets bénéfiques et secondaires de cette médication ou même les interactions avec les autres médicaments. D’autres participants du forum de 2016 évoquaient nombre de cas de non-respect des droits en santé, que ce soit le droit au consentement ou à la participation au traitement.

Un consensus fort s’était alors dessiné, indubitable : la médicalisation des difficultés vécues par les jeunes doit s’imposer comme un enjeu incontournable de société sur lequel nous devons interpeller le gouvernement.

À la suite de ce forum, la mobilisation a mené à la création du Mouvement Jeunes et santé mentale (MJSM) et à l’adoption de revendications phares touchant l’accès aux services psychosociaux : le respect des droits en santé mentale, la participation active des jeunes dans ce qui les concerne et la mise sur pied d’une commission sur la médicalisation des difficultés vécues par les jeunes.

Or, depuis cinq ans, avons-nous réussi, collectivement, à avancer fermement dans cette direction ?

Au MJSM, on constate d’abord que, bien malheureusement, on peine encore à impliquer les personnes premières concernées dans les décisions qui les touchent. Elles sont reléguées dans des rôles de témoin ou interpellées dans des consultations où elles n’ont pas d’impact sur les décisions qui comptent, celles qui peuvent transformer les choses en profondeur. Le tokénisme2 existe aussi lorsqu’il est temps d’aller solliciter un usager du réseau de la santé mentale, plutôt que de permettre de faire émerger une parole collective et critique.

On remarque aussi que l’accès aux services en santé mentale s’est peu ou pas amélioré, malgré les millions de dollars annoncés l’an dernier.

Les listes d’attente ont été transformées en autosoins, on propose des ateliers de groupe et de gestion des symptômes, mais peu d’accompagnement où l’on pourrait se déposer et aborder des problématiques complexes, qui exigent plus que 10 séances avec un psychologue ou un intervenant psychosocial, malgré toutes leurs compétences. L’accès aux solutions de rechange à la médication est loin d’être acquis, malgré la mise en place du Programme québécois pour les troubles mentaux qui, en dépit de sa prétention initiale de faciliter l’accès à la psychothérapie, est bien loin de remplir ses promesses.

Et la médication ? Encore souveraine en cette période pandémique, la médication s’érige encore en première réponse à la détresse. On médicalise les effets d’une crise sanitaire qui, disons-le franchement, résulte du sous-investissement chronique dans le système public de santé ainsi que dans les organismes communautaires. On médicalise l’isolement des jeunes, leur détresse face à l’impossibilité de se projeter dans un futur proche, mais aussi leur impuissance face à un gouvernement qui décide par décret, sans prendre le temps d’entendre les oppositions et les personnes premières concernées à propos des mesures sanitaires mises en place. La hausse majeure de la prescription d’antidépresseurs chez les jeunes nous désole : qu’aurions-nous pu mettre en place pour mieux soutenir les jeunes dans cette période ? Que pourrions-nous faire pour encourager et valoriser l’entraide en santé mentale, une pratique pourtant portée depuis plus de 40 ans par les ressources alternatives en santé mentale au Québec !

Par-delà les enjeux de santé mentale

Nous reconnaissons le souci du ministre responsable de la santé mentale de mettre en place de nouvelles pratiques plus près des besoins de la population, dont la population jeune, mais ce serait une erreur de penser que seuls de meilleurs services en santé mentale seront à même d’aplanir la courbe de la détresse, pour reprendre le slogan du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec. Lutter contre la médicalisation des difficultés vécues par les jeunes, ça commence par une action déterminée et déterminante sur les conditions de vie des familles et des jeunes : s’assurer que les conditions nécessaires à une bonne santé mentale soient là, dans toutes les communautés, pour tout le monde. Cinq années après le Forum Jeunes et santé mentale – Pour un regard différent, nos exigences de changement demeurent les mêmes : mettre les jeunes au cœur des décisions, leur donner la liberté de choisir et donner aux communautés des leviers pour améliorer la vie de tous et toutes.

*Cosignataire : Anne-Marie Boucher, co-coordonnatrice du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec et membre du comité de coordination du Mouvement Jeunes et santé mentale

1. Lisez « Drummondville : Forum sur la médicalisation et les problèmes sociaux chez les jeunes »

2. Le tokénisme (tokenism en anglais) consiste à faire symboliquement des efforts afin d’inclure des groupes minoritaires. Cette pratique n’est pas faite dans l’intention d’une discrimination positive, mais cherche plutôt à cacher la réalité et la misère vécues par ces groupes.

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