Pour démontrer l’inconstitutionnalité de la loi 21, on peut s’inspirer du jugement de la Cour d’appel de l’Ontario qui s’était servie du principe constitutionnel de protection des minorités pour statuer dans l’arrêt Lalonde c. Ontario que la minorité franco-ontarienne avait le droit de conserver l’hôpital Montfort. 

Le jugement Blanchard

La principale différence avec le cas Montfort est que le législateur québécois a dans la loi 21 fait usage de la clause dérogatoire aux articles 33 et 34, neutralisant notamment les articles des deux chartes affirmant la liberté individuelle de religion.

La clause dérogatoire neutralise-t-elle cependant le recours au principe de protection des minorités ? Il semble que les minorités ne peuvent avoir des pratiques religieuses que si les individus se livrent eux-mêmes à l’exercice de ces pratiques. Puisque la clause dérogatoire contenue dans la loi 21 s’applique à la liberté individuelle de religion et que les pratiques communautaires religieuses semblent ne pas pouvoir exister indépendamment des individus, la clause dérogatoire semble s’appliquer aux pratiques communautaires et non seulement à celles des individus. Telle serait la raison pour laquelle on ne peut faire usage du principe de protection des minorités pour contourner les effets de la clause dérogatoire.

Un droit collectif des minorités

Cet argument ne tient toutefois pas la route. L’article 2 de la charte canadienne et l’article 3 de la charte québécoise affirment des droits individuels et non des droits de groupes. À l’échelle individuelle, l’expression de la religion est seulement la manifestation d’une préférence ou d’une valorisation. Cela renvoie à une dimension subjective de l’identité. Or, en tant que participants au sein de pratiques communautaires, les personnes sont en outre les parties objectives d’un tout. En plus d’être des individus citoyens, elles sont membres d’un corps collectif et c’est ce corps collectif qui détient le droit de se doter de pratiques religieuses communautaires.

Une analogie utile

Pour comprendre que les droits collectifs des groupes à des pratiques communautaires sont distincts des droits individuels à la liberté de religion, on peut proposer l’analogie suivante : imaginons que les règles d’un orchestre symphonique incluent des clauses concernant les musiciens qua individus et des clauses portant sur les droits de l’orchestre qua orchestre. Une clause portant sur les individus leur permet de mener parallèlement une carrière publique de musicien solo.

Imaginons ensuite un dirigeant qui choisirait de biffer sur le contrat de certains musiciens et pour une période de cinq ans la clause leur permettant de poursuivre une carrière solo. Ils pourraient bien entendu faire des prestations privées, mais ils ne pourraient pas en faire sur scène, en public. Est-ce que la suspension de ce droit individuel aurait pour effet de neutraliser les droits que ces musiciens ont en tant que membres de l’orchestre ? Bien sûr que non.

Or, avec la loi 21, le législateur est un peu comme celui qui, voulant mettre un terme à la carrière publique de certains musiciens, se croirait en mesure d’y parvenir en biffant seulement la clause concernant la poursuite d’une carrière solo. Les fonctionnaires visés peuvent alors réagir comme le pourraient les musiciens et s’appuyer sur des droits de groupe pour justifier leurs activités de groupe dans l’espace public.

La neutralisation de la liberté individuelle de religion à l’aide d’une clause dérogatoire n’a donc pas d’impact sur le droit du groupe de se livrer à des pratiques religieuses communautaires, parmi lesquelles se trouve la pratique du port de signes religieux dans l’espace public.

Conclusion

Le droit qu’ont certains groupes de manifester leur identité religieuse n’existe pas sans la participation des membres, mais c’est en tant que parties au sein d’un tout qu’ils s’y engagent. La pratique doit être librement consentie, mais elle peut, même dans ce cas, avoir un caractère communautaire. Or, la protection des pratiques communautaires religieuses relève du principe de protection des minorités et non des articles portant sur les libertés individuelles.

S’agissant plus spécifiquement de la charte québécoise, la loi 21 viole l’article 43 en vertu duquel « les personnes appartenant à des minorités ethniques ont le droit de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe ». Cet article est dans la charte opportunément distingué de l’article 3. Il équivaut pratiquement à une application explicite particulière du principe sous-jacent de protection des minorités.

Le Parlement du Québec, peut grâce à la clause dérogatoire, exercer sa souveraineté parlementaire et donner effet à des dispositions qui sont en dérogation des articles garantissant certains droits individuels fondamentaux enchâssés dans les deux chartes. Qu’à cela ne tienne, le principe sous-jacent de protection des minorités et l’article 43 de la charte québécoise continuent de s’appliquer. Or, ces principes peuvent être utilisés pour protéger les droits collectifs des minorités et prendre en défaut la loi 21.

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