Occuper le poste de chef de l’opposition officielle requiert des nerfs d’acier et une vision à 360 degrés. Incompris et impatients s’abstenir.

Les obus proviennent autant de l’avant que de l’arrière. La période de probation durera jusqu’à ce que vous accédiez au poste de premier ministre ou que vos pairs vous congédient. Vous êtes comme le vice-président par intérim à qui une entreprise hésite de confier un poste permanent. Et les médias – par la force des choses – s’intéresseront plus à votre principal adversaire sauf, bien entendu, quand vous trébucherez.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, « n’en doutons pas, a d’énormes défis devant lui, écrit Michael M. Fortier. Certains éléments de son parti s’opposeront toujours à des mesures progressistes. »

Le congrès du Parti conservateur le week-end dernier a ajouté un obstacle de plus sur le chemin d’Erin O’Toole. En votant majoritairement contre la reconnaissance de l’existence des changements climatiques, les militants conservateurs ont sérieusement embêté leur chef. Les conservateurs composent depuis toujours avec des éléments fâcheux au sein du parti, encore plus depuis la fusion avec l’Alliance canadienne en 2003. Contrairement aux autres partis qui étouffent ces courants indésirables avant qu’ils ne jaillissent, les conservateurs préfèrent jouer les démocrates et leur offrir une place pour s’exprimer. Et quand on peut se réfugier derrière un ordinateur comme le week-end dernier, on s’exprime ! L’amateurisme du parti dans l’organisation d’évènements (comment oublier les six heures nécessaires pour déclarer M. O’Toole vainqueur au congrès au leadership d’août dernier ?) laisse pantois.

Stephen Harper, autant dans l’opposition qu’au gouvernement, a souvent dû traiter avec, dans son parti, des points de vue déconnectés de larges consensus dans la société canadienne. Ceci ne l’a pas empêché d’être premier ministre pendant neuf ans.

Les électeurs s’inquiétaient d’une présence de l’extrême droite dans le Parti conservateur, mais savaient que M. Harper ne lui accorderait pas d’importance.

M. O’Toole peut se réconforter en se rappelant que les dernières campagnes électorales fédérales ont fait une énorme différence dans les résultats. Les mêmes commentateurs politiques qui concluent que son sort est joué avaient totalement ignoré Justin Trudeau en 2015 et prédit que M. Harper ne pourrait remporter une majorité en 2011 sans le Québec.

M. O’Toole n’avait d’autre choix que de statuer qu’il ignorerait les conclusions du congrès sur l’environnement. Il doit maintenant s’assurer que son caucus se solidarise autour de l’importance de combattre les changements climatiques. Mais, surtout, il doit tabler sur une politique environnementale crédible. Se lancer dans la prochaine campagne électorale avec des mesures frêles comme l’a fait son prédécesseur en 2019 assurera la défaite des conservateurs. Avec autant de projecteurs braqués sur lui, on peut même espérer que M. O’Toole proposera des politiques encore plus robustes qu’elles ne l’auraient été sans la tenue du congrès.

M. O’Toole doit aussi miser sur une force des conservateurs – l’économie. Mais pas celle qui se trouve dans le rétroviseur.

Les conservateurs doivent cesser de critiquer la gestion des finances publiques depuis 12 mois. L’aide financière d’Ottawa, bien qu’à l’occasion mal dirigée, a soutenu des centaines de milliers de familles. Je les imagine mal réagir favorablement à l’affirmation que les chèques encaissés étaient injustifiés. Le parti doit plutôt se concentrer droit devant – la création de richesse, l’innovation et la réduction du déficit. Pour ce faire, M. O’Toole doit recruter des candidats avec des profils économiques – préférablement des femmes – qui agiront pour les conservateurs comme les trios économiques l’ont fait en campagne électorale pour Philippe Couillard en 2014 et François Legault en 2018.

Les conservateurs pourraient aussi se démarquer en politique étrangère. Le Canada va-t-il continuer à sous-traiter de grands axes de sa politique étrangère aux États-Unis comme il le fait depuis l’arrivée de M. Trudeau au pouvoir ? L’arrestation de Meng Wanzhou à Vancouver en 2018 a été téléguidée par Washington et nous a conduits vers de sérieux différends avec la Chine. M. Trudeau en a fait une autre démonstration cette semaine en déclarant que Vladimir Poutine avait commis des gestes répréhensibles, citant l’annexion unilatérale de la Crimée. C’était la première fois qu’il s’exprimait sur le sujet – pourtant la Crimée a été annexée en 2014. Cette déclaration coïncidait d’ailleurs avec des propos similaires tenus récemment par le président Biden.

M. O’Toole, n’en doutons pas, a d’énormes défis devant lui. Sa décision d’ignorer les vœux des militants lui occasionnera certainement une série de tirs amis. Mais ces défis ne sont pas insurmontables. Certains éléments de son parti s’opposeront toujours à des mesures progressistes. Le meilleur signal qu’il peut leur transmettre est de gagner la prochaine élection sans leur concours. Peut-être alors éviteront-ils le prochain congrès !

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