La COVID-19 a favorisé l’expression de nombreuses peurs et appréhensions. Notamment celle de souffrir d’un mal inconnu, ce qui en a incité beaucoup, par instinct primaire, à s’isoler et à craindre l’autre. Mais bien plus troublant, le désarroi maintenant nommé de mourir seul, particulièrement en situation de dépendance.

N’est-il pas surprenant qu’un débat sur l’aide médicale à mourir pour les personnes indigentes et en perte d’autonomie se soit déroulé en partie pendant la pandémie ? L’expression du malaise de mourir avec un trouble cognitif dans un CHSLD incitait la société, avant la pandémie, à repenser la Loi sur l’aide médicale à mourir (AMM). Par ailleurs, les décès en masse dans les maisons de retraite ont forcé la réalisation que la fin de vie en société occidentale s’impose avec ses valeurs sociales prédominantes d’autonomie, de pertinence et de productivité. Qui n’a pas pensé ou dit dans la dernière année : je ne veux pas finir ainsi…

Mourir en perte d’autonomie est difficile en soi et à cela s’ajoute le débat sur la qualité des soins. De fait, on doit constater l’oubli, voire la négligence, qui a caractérisé les investissements déficients pour assurer une fin de vie décente, menant au dérapage relié à la COVID-19, ce qu’un rapport de trois ordres professionnels a récemment dénoncé.

Affirmons ce dont il s’agit : la survie moyenne en CHSLD était en 2015 de moins de deux ans et trois mois, dont des personnes handicapées y séjournant depuis de nombreuses années et venant gonfler cette moyenne. Il est donc probable que la médiane (50 % des cas) soit nettement moins de deux ans. Depuis 2015, le niveau de dépendance et l’âge à l’admission ont progressé, et la durée de séjour en CHSLD a encore diminué de 10 à 20 %. Par ailleurs, moins de 3 % des personnes de 65 ans et plus séjournent en CHSLD.

Ainsi, une admission en CHSLD s’inscrit dans une fin de vie relativement brève, des capacités physiques et (ou) mentales en déclin rapide et une qualité de vie difficilement quantifiable. Les statistiques sont ardues à intégrer, mais balisent cette réalité du discours public.

Ces chiffres s’insèrent dans un discours sur la valeur humaine : produire avant de se retirer et vivre de ses avoirs accumulés, en espérant que la maladie et l’indigence demeurent en marge. Ensuite, escompter une fin sans souffrance, idéalement au moment désiré. L’idéation sociale prédominante de la mort suit le modèle du « sur-demande », du « service » concernant les règles d’offre et de demande. Le mercantilisme, le populaire, s’est inséré dans la vie et la mort…

Notre discours public actuel est sensiblement influencé par les images choquantes de CHSLD en pandémie. Celles-ci représentent néanmoins l’expérience d’une minorité de personnes âgées du Québec. Minorité ne veut pas dire ne pas s’en soucier, au contraire. Les conditions minoritaires sont souvent négligées par la majorité imposant plus et mieux pour elle-même.

Personnellement, je souhaiterais qu’on accepte mon désir de ne pas finir dans l’indigence et sans mes capacités mentales. Mais est-ce adéquat d’imposer la réalisation de mes désirs à la société et à mes proches ? Il n’y a pas de réponse idéale à cette difficile question. Il y a seulement celle dont on conviendra collectivement, avec la participation de chacun, sans toujours nécessairement compter sur la société pour réaliser ce que l’on souhaite.

Je pratique au quotidien avec des patients souffrant du cancer qui évaluent les options de traitement que l’on propose en fonction de leur espérance de vie et la qualité de vie qui y est associée. En conséquence, certains considèrent l’AMM. Il est possible d’en discuter parce qu’ils conservent leur raisonnement. Il existe un argumentaire pertinent sur l’AMM, critiquant le fait que la loi occulte le suicide assisté, favorisant ainsi que la population se désinvestisse de sa propre mort en la demandant. Par contre, ceci s’impose en contexte de perte d’autonomie…

Par ailleurs, les investissements annoncés dans les maisons des aînés changeront peu au fait que les personnes qui y séjourneront auront nonobstant des capacités réduites, et peu de bienfaits directs venant de la modification physique des lieux. Leur bien-être est davantage influencé par la quantité des soins, la disponibilité du personnel et la présence des proches. Ce bien-être s’oppose à notre subjectivité qui, la plupart du temps, ne reconnaît pas une qualité de vie quand les fonctions mentales s’étiolent.

Voltaire a écrit que l’espèce humaine est la seule qui sait qu’elle doit mourir. Mais quand on a perdu la capacité de savoir, émerge la question de quelle humanité volontaire persiste dans cette existence…

Près de 11 000 personnes sont décédées de la COVID-19. Une forte proportion étaient en perte d’autonomie avancée et avaient possiblement exprimé antérieurement un désir de fin de vie calme et digne. Malheureusement, tel ne fut pas le cas pour beaucoup… L’adage veut qu’on naisse seul et qu’on meure seul. Ce ne fut que trop vrai en période de COVID-19.

Pour le futur, il y a certainement lieu de déterminer si la société et les soignants sont les seuls responsables d’assurer une fin digne. Il y a la part des politiciens et des dirigeants, mais aussi celle de chacun pour exprimer ses désirs et prendre les actions conséquentes, à 90 ans ou à 30 ans, puisque la nouvelle loi précise que l’AMM peut s’appliquer sans mort prévisible. La COVID-19 nous a confrontés de front à la vulnérabilité humaine. Reste à savoir si on embrasse cette vulnérabilité en l’encadrant ou on s’en éloigne en prévoyant des mécanismes de fin de vie selon les désirs de chacun.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion