Au cours des derniers mois, on a beaucoup parlé, avec raison, des grands éclopés de la COVID-19, travailleurs de la santé, bénéficiaires vulnérables et esseulés des CHSLD et autres maisons de retraite, et j’en passe.

Plus récemment, on a mis au jour la progression alarmante des problèmes de santé mentale et de toxicomanie chez les adolescents, principalement attribuables aux défis psychosociaux qu’entraîne la pandémie. Ceux de l’enseignement à distance, entre autres, et plus généralement de la diminution considérable des contacts sociaux, et ce, à un âge où l’on se forge précisément dans la relation avec nos pairs.

Ma presque et mon full ado n’y font pas exception, la première peinant à tisser des liens avec les jeunes de sa classe-bulle, seuls enfants avec qui elle est autorisée à avoir des contacts, et le second traînant la patte dans plus d’une matière cette année, ce qui n’est pas sans conséquence sur son niveau d’anxiété et son estime de lui. Ils sont à l’image de bon nombre de jeunes de leur âge, à ceci près qu’ils doivent en plus conjuguer avec la mort tragique de leur père.

Sans entrer dans les détails sordides, leur drame est singulier, mais il met pourtant en lumière celui d’un autre groupe d’éclopés de la pandémie actuelle : les endeuillés. Parce que la mort, elle, n’a pas été confinée. Elle a continué à faire des victimes, notamment celles de la COVID-19 et de ses effets collatéraux. Parce que les pertes d’emploi, le stress financier, l’isolement, et j’en passe, quoi qu’en disent les chiffres officiels, peuvent aussi précipiter dans un gouffre.

Mes enfants et moi l’avons tristement éprouvé, en septembre dernier, quand nous avons retrouvé leur père sans vie, quatre jours seulement après qu’il eut adopté un chiot pour eux.

En plus de la situation mondiale actuelle qui a assurément exacerbé une problématique de santé mentale déjà sous-jacente, les mesures sanitaires et les nombreuses interdictions sont loin de faciliter un processus de deuil déjà douloureux. Parce qu’être contraints à l’isolement dans une période où l’on a plus que jamais besoin des autres, ça relève de l’impossible… et c’est même carrément par moments inhumain.

Bien sûr, des amis sont venus nous visiter, d’autres ont déposé des lasagnes et des fleurs sur le pas de notre porte ; certains ont même bravé les interdits pour nous étreindre un instant. Bien d’autres, on ne peut que les comprendre, ont dû garder leurs distances ou même s’abstenir. Parce que la crise est réelle et fait des morts. Or, la nôtre n’en est pas moins réelle, et ce, parce qu’il est mort.

Ses obsèques, à commencer par le nombre restreint de visiteurs que nous avons pu y accueillir, ont été le lieu de moult absurdités.

Nous n’avons pu qu’imaginer les sourires masqués et assurément plein d’empathie qui nous étaient adressés, et il m’a fallu débattre avec une jeune employée pour obtenir l’accès à une salle fermée pour ma fille et ses amis, parce que « ça ne se fait pas, madame, à cause de la COVID-19 ». Il apparaissait déraisonnable, en temps de pandémie, qu’une fillette de 9 ans ait besoin de prendre ses distances, de dessiner, de se changer les idées durant les obsèques de son père retrouvé mort deux semaines plus tôt. Il semblait tout aussi inopportun de demander qu’on conserve quelques jours une partie des cendres, celles qui nous avaient été réservées en dehors de l’urne, parce que les enfants et moi ne nous sentions pas capables d’en disposer ce jour-là.

Entre autres aberrations, il y a aussi eu la gestion imposée d’une succession déficitaire, les rendez-vous chez le notaire et les décisions difficiles, et la nécessité, à un moment ou à un autre, d’aller seule à la maison, parce que les amis travaillent, parce que grand-papa qui habite à cinq heures de route a contracté la COVID-19, et parce que les contacts humains doivent être restreints à l’essentiel (mais qu’est-ce qui est essentiel, au fait ?). Il y a eu ce vol, ce policier blasé et suspicieux, puis ce serrurier qui a maladroitement tenté de me réconforter parce que j’étais seule, parce que j’étais en larmes, parce qu’on avait pillé le seul souvenir de son père réclamé par fiston. À ce moment-là, j’en aurais pris un char de monde pis de bras connus.

Or, ce drame individuel, et encore malheureusement trop actuel, est assurément celui de bien d’autres endeuillés de la dernière année. Traverser l’odieux dans des conditions plus qu’absurdes, aller chercher un peu de chaleur humaine sur Zoom, et surtout, se dépêcher de renvoyer les enfants à l’école à temps plein, vite vite, à distance.

Près de 75 000 personnes sont mortes au Québec en 2020. Ça fait beaucoup de monde, je trouve, à pleurer dans le plus grand isolement.

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