À partir de l’inauguration d’aujourd’hui, Kamala Harris sera à nouveau première ceci, première cela. Comment alors parler d’elle à sa hauteur et à celle du poste qu’elle occupe en évitant les pièges, clichés et stéréotypes ?

C’est un exercice dans lequel le magazine Vogue semble avoir échoué la semaine dernière, alors que cette bible de la culture populaire dévoilait son frontispice du mois de février 2021. Dans la version papier du magazine, le portrait – et non ce que porte Madame Harris – semble brouillon et n’est digne ni de la vice-présidente ni de son titre, et, franchement, ni de la page couverture. Le portrait de la version numérique du magazine est différent et superbe. Mais c’est l’autre – celui qui manque de finesse et de révérence – dont on se souviendra.

La culture populaire nous a permis d’imaginer ce que pouvait être une vice-présidente des États-Unis. À la télévision, de manière satirique, c’était Julia Louis-Dreyfus dans la série VEEP. Au cinéma, Joan Allen était si convaincante dans The Contender, qu’elle reçut une nomination aux Oscars pour son interprétation d’une vice-présidente désignée.

Mme Harris n’est pas un personnage et le Vogue dépasse les confins de la mode, des fringues et de la fiction. Il aurait pu donner le ton d’une industrie qui a le pouvoir d’influencer nos perceptions et qui a la responsabilité de nous présenter des réalités.

La porte de cet excès de zèle de l’équipe de rédaction du Vogue a été ouverte par l’équipe de Harris. Une fois nommée colistière de Joe Biden, en août dernier, Kamala Harris entame un marathon à travers les États-Unis, souvent en portant des Converse Chuck Taylor – chaussures de sport maintenant indissociables de l’image de la vice-présidente. Ce détail aurait pu être aussi discret que les foulards Hermès de Theresa May. Mais son équipe a mis sur les réseaux sociaux une photo et une vidéo de Harris en utilisant le mot-clic #CampaigningInConverse. Un cliché repris par les médias, au détriment, pendant plusieurs jours, du contenu du programme électoral de duo Biden-Harris.

IMAGE TYLER MITCHELL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Kamala Harris à la une du magazine Vogue

Comment l’équipe de la troisième femme en 245 ans à être nommée colistière d’un des deux grands partis a pu penser que de mettre de l’avant un article vestimentaire serait une bonne idée ? Pour Sarah Palin, qui était sans substance et aux compétences limitées, je l’aurais compris et vu comme une distraction volontaire. Mais pour Kamala Harris, qui est brillante, la décision semble malavisée.

Apprendre du passé

La quête d’égalité entre les hommes et les femmes inclut aussi celle dans la manière dont on parle d’eux. En 2015, Ségolène Royal, ancienne candidate à la présidence en France, est une membre importante et influente du cabinet Hollande. Dans le portrait que lui consacre le New York Times, on la décrit comme étant une sorte de vice-présidente de la République. L’article a été publié dans le cahier « Mode » du Times au lieu de se retrouver dans les pages couvrant l’international ou la politique.

Quelques mois plus tard et en pleine campagne présidentielle américaine, le magazine du journal Le Monde avait cet invraisemblable passage dans un article sur Hillary Clinton : « En 2016, la favorite à la primaire démocrate devrait se lancer à l’assaut de la Maison-Blanche. Le combat d’une vie ? Non, le combat de sa vie est vestimentaire. » Pow !

Depuis près de 15 ans, la chancelière Angela Merkel se retrouve au sommet de palmarès des politiciens les plus puissants au monde. Merkel, qui bientôt ne dirigera plus l’Allemagne, a su le faire de manière exemplaire. Malgré ses succès, il est remarquable de voir le nombre d’articles qui ont été consacrés à son style vestimentaire. Beaucoup plus qu’à celui d’Helmut Kohl.

Faire l’analyse de ses choix de couleurs de blazers lors de rencontres cruciales, par exemple, me paraît fair-play puisque la couleur est un élément important de la communication politique, pour les hommes comme pour les femmes. Le bleu de Macron, le beige de Reagan, le mauve d’Hillary Clinton – lors de son discours de concession en 2016 – et, comme celle du blanc porté par les représentantes des partis démocrate et républicain en 2019, lors de l’adresse de Donald Trump à la nation. En politique, le tout-de-blanc est un salut au mouvement féministe.

Mais qu’un magazine fasse tout un article sur le makeover qu’il suggère à la chancelière manque d’élégance et de pertinence. C’est pourtant le jeu auquel s’était prêté le Harper’s Bazaar UK, en 2013.

Les femmes dirigeantes peuvent être soucieuses de leur habillement et fans de mode, tout comme Justin Trudeau aime porter de coquettes chaussettes. Mais avons-nous le droit de les juger lorsque leurs choix ne nous plaisent pas et de critiquer leurs choix vestimentaires comme s’ils étaient d’ordre d’affaires d’État ?

Mme Harris peut bien faire toutes les unes qu’elle veut, comme Barack Obama a notamment fait celle du magazine Men’s Health et Matteo Renzi, celle du Vanity Fair italien. Mais tout devra être dans la manière dont on parle d’elle.

Maintenant que nous avons appris d’erreurs du passé, il faudrait éviter les critiques n’ayant rien à avoir avec la gouvernance politique de la vice-présidente. J’espère que dans ce que nous lirons, verrons et entendrons, Kamala Harris sera tenue aux mêmes standards que Mike Pence et qu’en plus, il n’y aura aucune des attentes et comparaisons normalement réservées aux premières dames. Pour ça, il y a maintenant la Dre Jill Biden et Doug Emhoff, le « second gentleman ».

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