En moins d’un an, la communauté scientifique mondiale a mis au point deux vaccins à ARNm contre le SARS CoV-2, virus responsable de la crise pandémique mondiale. Nous attendons d’ici quelques semaines les résultats des essais de phase 3 de deux vaccins à vecteurs viraux. La communauté scientifique mondiale a largement rempli son rôle dans la lutte contre ce virus.

Cependant, la production et la distribution d’un approvisionnement suffisant pour permettre à tous les habitants de la planète de recevoir deux doses d’un vaccin à ARNm le plus rapidement possible se révèlent aussi sinon plus difficiles que l’entreprise scientifique elle-même. Ici, au Canada, nous avons rencontré deux problèmes majeurs : la livraison des vaccins par le gouvernement fédéral et le déploiement du programme de vaccination par les provinces et les territoires.

La décision prise cette semaine par le gouvernement du Québec d’augmenter l’intervalle entre les doses jusqu’à 90 jours est naturellement motivée par le désir de vacciner le plus grand nombre de personnes le plus rapidement possible. Malheureusement, il n’y a aucun résultat probant étayant l’efficacité d’un calendrier à deux doses dont les doses sont séparées par un intervalle qui fait plus de quatre fois celui de l’essai de phase 3 approuvé par Santé Canada. En outre, il s’agit d’un intervalle qui fait plus de deux fois l’intervalle maximal recommandé récemment par le Comité consultatif national de l’immunisation.

Il y a d’autres solides raisons éthiques, politiques et scientifiques selon lesquelles il s’agirait là d’une grave erreur.

Tout d’abord, les vaccins basés sur la technologie de l’ARN n’ont jamais été utilisés chez l’humain. Par conséquent, nous ne devrions pas modifier à la légère les protocoles approuvés qui reposent sur une expérimentation rigoureuse.

Deuxièmement, le protocole approuvé par Santé Canada pour les vaccins Pfizer et Moderna, basé sur des essais cliniques avec un calendrier à deux doses administrées respectivement à trois et à quatre semaines d’intervalle, affiche une efficacité de 95 %. Il est très peu probable qu’une modification de la posologie améliore ce résultat.

Troisièmement, l’injection de rappel est essentielle, car elle joue deux rôles dans notre système immunitaire : elle l’entraîne en améliorant la qualité et la quantité des anticorps synthétisés, et elle accroît la durabilité de ces derniers. Il y a un risque réel qu’une seule dose ou un long intervalle entre les doses ne procure pas le même niveau de protection ni de durabilité que ce qui a été constaté lors des essais approuvés par Santé Canada. Les gens pourraient ainsi croire qu’ils sont immunisés alors qu’ils ne le sont pas.

Une expérience sur des sujets humains

Quatrièmement, modifier le protocole sans aucune donnée probante à l’appui ni approbation réglementaire revient à réaliser une expérience sur des sujets humains et requiert donc un consentement éclairé. L’éthique, tout comme la science, doit reposer sur des données probantes.

Cinquièmement, des variants viraux apparemment plus transmissibles ont récemment fait leur apparition. Voilà qui n’a rien d’étonnant. Tous les êtres vivants subissent des mutations et sont sélectionnés en fonction des conditions environnementales dans lesquelles ils évoluent. En diminuant la posologie, et en obtenant ainsi de faibles niveaux d’anticorps neutralisants, nous courons le risque de créer l’environnement idéal où des variants résistants pourraient proliférer et compromettre l’efficacité de toute la génération actuelle de vaccins.

Sixièmement, cette situation est particulièrement inquiétante pour les populations fragiles comme les personnes âgées, les cancéreux et les personnes immunodéprimées. Les populations les plus vulnérables au SARS CoV-2 sont donc celles qui courent le plus grand risque de contracter une maladie grave à cause d’une modification de la posologie.

Septièmement, les fabricants de vaccins pourraient hésiter à envoyer des doses supplémentaires aux pays qui modifient la posologie approuvée sur la base de données scientifiques et autorisée par l’instance nationale de réglementation.

Finalement, au Canada, la réticence à la vaccination est faible et la confiance dans les processus réglementaires est plus élevée que dans de nombreux autres pays. Nous risquons de miner cette confiance si les provinces s’écartent d’une posologie cohérente et approuvée à l’échelle du pays.

Celle-ci doit reposer sur les données et la science, et non sur des problèmes d’approvisionnement et de livraison à court terme.

Le fait d’avoir deux, et bientôt peut-être quatre, vaccins hautement efficaces contre la COVID-19 constitue un triomphe remarquable de la science moderne, de l’ingéniosité humaine et de la collaboration. Il nous reste maintenant à relever le formidable défi de la fabrication et du déploiement de millions de doses de vaccins au Canada et dans le monde. Il serait tragique que nous relevions ce défi en compromettant l’efficacité des vaccins par la modification de la posologie approuvée. Nous devons au contraire continuer à miser sur l’ingéniosité humaine et la collaboration pour vacciner rapidement les Canadiens et les gens du monde entier.

* Alan Bernstein est président et chef de la direction du CIFAR, une organisation de recherche mondiale ; André Veillette est médecin, professeur à l’Université de Montréal et directeur de l’unité de recherche en oncologie moléculaire de l’Institut de recherches cliniques de Montréal ; Bartha Knoppers est professeure titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit et en médecine et directrice du Centre de génomique de l’Université McGill.

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