Je regarde un album de photos de mon enfance et je tombe sur celles du temps des Fêtes. Avec le recul et à la lumière de la pandémie, je me rends compte que ces temps des Fêtes étaient, pour notre famille, des Fêtes confinées.

Les temps des Fêtes de mon enfance, je les ai vécus à Sept-Îles, territoire des Montagnais, nom qui a été donné aux Innus. Mes parents ont fui la dictature de Duvalier après un parcours migratoire qui nous a menés du Maroc au Tchad et finalement au Québec.

Mes parents ont quitté leur île pour en trouver sept.

Comme de nombreuses familles immigrantes, mes parents se sont exilés loin de leur pays, de leur famille élargie sacrifiés dans la recherche d’une meilleure vie sous des cieux plus cléments. Ces sacrifices, dont celui des amis, sel de la vie, qui, selon certaines études, sont le secret du bonheur et de la longévité, n’ont pas été faciles. Leur motivation : une vie meilleure pour leurs enfants.

Pour s’intégrer à notre terre d’exil, notre famille a essuyé des pertes. Aujourd’hui, on a théorisé ces pertes comme la perte de capital social. Le capital social se définit comme les diverses sortes de ressources actuelles ou potentielles qu’un individu peut mobiliser du fait d’avoir un réseau durable de relations sociales.

Nous avons longtemps été la seule famille haïtienne à Sept-Îles, la seule famille noire. Notre communauté : notre famille nucléaire. La communauté haïtienne s’était enracinée à Montréal, la métropole, comme c’est toujours le cas pour de nombreux immigrants. Notre communauté d’immigrants à nous était italienne.

Terre d’accueil

De nombreux Italiens qui fuyaient la pauvreté de la Sicile étaient venus travailler dans les mines à Sept-Îles, Schefferville, Gagnon et Fermont, cherchant aussi un meilleur avenir pour leurs enfants. Je me rappelle aussi que les Italiens mobilisaient leurs ressources afin qu’un camion rempli de victuailles italiennes vienne sur la Côte-Nord avant Noël alors que les routes étaient encore praticables. C’est ainsi que l’épicerie Milano est entrée dans ma vie avec ses risottos, ses nougats, ses sirops d’orgeat, ses prosciuttos et ses panettones. C’est ainsi que les recettes et les desserts du sud de l’Italie sont entrés dans nos vies.

Nos parents partageaient la même nostalgie : celle de la vie d’avant, celle du pays qui devenait au fil du temps le pays rêvé. Cette nostalgie qui permet à l’immigrant de recréer son pays natal après l’avoir quitté, ce pays qui finit par n’exister que dans la tête des migrants.

Je me souviens de temps des Fêtes plus difficiles que mes parents ont su rendre heureux. Aujourd’hui, je considère que cela relève du miracle. Mon père n’a pas travaillé pendant trois ans, il a dû poursuivre la commission scolaire qui n’a pas voulu renouveler son contrat, car son permis de travail n’était pas arrivé avant la rentrée scolaire. Trois ans sans travailler pour un délai administratif, comment est-ce possible ? Comment avons-nous pu survivre ?

L’immigration n’est pas un long fleuve tranquille.

Aujourd’hui, je vis à Montréal, je suis confinée pour le temps des Fêtes avec ma famille. Mais ce confinement est différent, je suis avec ma famille, qui reste nucléaire, mais je constate les luxes qui le parsèment et pour lesquels je ne peux qu’exprimer de la gratitude.

Je sais que tous n’ont pas ma chance, mais nous sommes tout de même nombreux à avoir accès à ces luxes : je peux aller acheter le nougat de mon enfance chez Milano, j’ai un accès virtuel à mes amis, Zoom, Zoom, Zoom, et des livres numériques à la bibliothèque. Grâce aux livres, j’ai accès à de nombreux pays, à de nombreuses recettes, à de nombreuses cultures et à de nombreuses lectures du monde.

Certes, je ne prétends pas que cela remplace le contact humain, mais cela pourrait être bien pire.

Enfants, nous étions heureux, mes sœurs, mes parents et moi, car nous étions ensemble, et c’est dans cet esprit que je vis le confinement.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion