Si la machine à café de la salle des profs pouvait vous faire une synthèse des conversations récupérées çà et là au cours de la session, deux constats marqueraient le bilan de cette première session en présentiel au collégial depuis plus d’un an.

Remarquez, ce qui se dit entre profs qui sirotent leur café avant de faire leur saut en classe ne saurait rivaliser en crédibilité avec les savantes analyses que produisent nos statisticiens de l’éducation. Dans nos institutions d’enseignement où on traite des taux de réussite sur le modèle entrepreneurial, où la profitabilité se mesure à l’aune du nombre de diplômés, les conversations qui s’animent autour des machines à café ne pèsent pas lourd dans la balance. Et puis, c’est bien connu, les machines à café n’ont pas le sens de la synthèse particulièrement développé. Il vous faudra donc une certaine indulgence.

Des élèves mal préparés

L’entrée au cégep et l’adaptation à ce nouvel environnement constituent, d’ordinaire, un défi pour bon nombre d’élèves. Celui-ci, pour une plus grande proportion d’entre eux, s’est malheureusement révélé un défi incommensurable.

Comment peut-on saisir la richesse des courants de pensée en littérature lorsqu’on ne maîtrise pas les bases de la langue française ? Comment saurait-on apprécier différentes écoles de pensée en philosophie si l’on ne fait pas la différence entre une opinion et un argument ?

J’ai eu, dans mes classes, un nombre plus important que jamais d’élèves qui ne possédaient pas les outils nécessaires à la réussite. Être présent à ses cours autrement que simplement physiquement, prendre des notes, étudier, réviser avant un examen, toutes ces choses que l’on tenait pour acquises, qui faisaient partie du « métier d’élève » m’ont semblé parfaitement étrangères à bon nombre de mes élèves de première année. À regret, j’ai dû remettre, comme certains de mes collègues d’expérience, de nombreuses mentions d’échec, quelque chose à quoi nombre de mes élèves sont confrontés pour la première fois.

L’une des observations frappantes est l’écart grandissant qui existe entre les performances des élèves. Je vous remettrais deux copies et vous ne me croiriez jamais si je vous disais qu’il s’agit d’élèves d’une même classe.

Aussi, dans la moitié de mes groupes, ce n’est pas la fameuse courbe de distribution en cloche qui représente le mieux les performances de mes élèves, mais plutôt une courbe en chameau, révélant ainsi qu’un écart se creuse entre des élèves bien et moins bien pourvus sur le plan académique. Si l’éducation doit embrasser cette mission consistant à offrir des savoirs pour tout un chacun, si l’objectif de nos écoles est de travailler au bénéfice de tous, cette situation est dramatique.

Il faut absolument corriger le tir. L’impression qui se dégage est que certains élèves ont eu des diplômes d’études secondaires au rabais.

Certains de nos jeunes aventuriers du savoir auront par ailleurs, me semble-t-il, profité de la pandémie et des largesses de ce laboratoire éducationnel patenté pour s’offrir des éléments de culture générale absolument remarquables. La résilience de certains de mes élèves, leur perspicacité et leur autonomie vous laisserait pantois. Certains autodidactes, je vous jure, ont trinqué. D’autres, par ailleurs, en attendant qu’on leur délivre par magie leur diplôme, se sont, m’apparaît-il, complètement coupés du monde. La proportion de jeunes accros à leurs écrans est telle que le concept même de cyberdépendance ne saurait plus être reconnaissable tant la norme sociale en ce qui a trait à notre rapport aux écrans a évolué.

La question du savoir-être

J’ai toujours traité mes élèves avec déférence et politesse. Par effet de réciprocité, on m’a toujours rendu la pareille. Je n’ai jamais pris soin d’expliquer à mes élèves qu’on ne se lève pas cinq minutes avant la fin d’un cours pendant qu’un enseignant est en train de parler. Je ne me suis jamais appesanti à propos des distinctions qui existent entre la manière dont on fréquente le dépanneur du coin et une classe au collégial. Lors de la prochaine session, pour la première fois en 12 ans, je vais faire des précisions. Elles s’appliquent à une bien petite minorité à laquelle je n’en veux pas réellement. On n’apprend pas à vivre en société en mangeant, en boxer, des crottes de fromage dans un sous-sol tout en prêtant l’oreille à un cours en ligne. Les rapports humains « en présentiel » se sont vus entachés, avilis, par la culture (ou son antithèse) qui prévaut dans les mondes virtuels. Une culture de l’instantanéité, une culture du zapping a investi nos classes.

Si la philosophie à quelque chose à voir avec cette idée de culture générale, avec ce projet consistant à façonner une vie bonne, il n’y a pas une époque autre que la nôtre où elle paraît si nécessaire.

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