Le gouvernement caquiste vient d’adopter le projet de loi 103 modifiant une quinzaine de lois pour alléger le fardeau administratif des entreprises. L’intention est louable. Cependant, le véhicule d’un projet de loi omnibus a été vivement critiqué dans le cas de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA). En effet, cette intervention en modifie la portée et des effets pervers à long terme sont à craindre.

Par sa réticence à autoriser le morcellement de terres agricoles, la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) est perçue comme une entrave par la relève s’intéressant à un nouveau modèle de ferme en production intensive sur de petites superficies. Le remède apparaît simple : une modification à la LPTAA incitant les commissaires à se montrer plus flexibles. Dans des milieux fragilisés par des pressions urbaines, le manque de balises pourrait toutefois aggraver le problème d’accès à la terre.

Il a été beaucoup reproché au gouvernement de faire abstraction du contexte prévalant en territoire agricole : l’accaparement des terres par des non-agriculteurs et des groupes financiers, la spéculation et la hausse fulgurante du prix des terres, un accès difficile à la terre pour la relève, les pressions urbaines et le nombre grandissant de parcelles inutilisées.

Du côté gouvernemental, on reconnaît l’existence de ces problématiques, mais on ne tient pas compte du fait que ces phénomènes sont interreliés et interdépendants. Ils contribuent à une hausse vertigineuse des prix pour les terres agricoles, notamment par la vente au pied carré plutôt qu’à l’hectare. Récemment diffusé par Radio-Canada, le documentaire Québec, terre d’asphalte illustre éloquemment ces réalités.

Le morcellement est généralement irréversible et la petite taille des parcelles limite leur polyvalence. Les beaux projets agricoles ne connaissent pas tous un destin heureux : qu’adviendra-t-il des petites superficies si la production cesse ?

Une multitude de parcelles abandonnées parsèment déjà la zone agricole, occasionnant des pertes pour l’agriculture. En effet, ce capital dormant est souvent laissé en friche et suscite des pressions pour des usages non agricoles.

Malgré tout, il est possible de minimiser le recours au morcellement. Un répertoire accessible de parcelles « oubliées » tenu à jour par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) pourrait aider à répondre aux besoins de certains projets agricoles. La CPTAQ a d’ailleurs déjà réalisé un inventaire partiel, largement cité en commission parlementaire. Cet outil pourrait être accompagné d’un soutien du MAPAQ pour la remise en culture de parcelles enfrichées. La location de terres avec option d’achat est aussi une option : en étalant ses investissements, une entreprise en démarrage pourrait plus facilement assurer sa viabilité à long terme.

À la sous-estimation gouvernementale des problèmes du territoire agricole s’ajoute une certaine insouciance. Le ministre Lamontagne s’est montré peu intéressé aux solutions précitées pour éviter le morcellement de même qu’au renforcement du rôle du MAPAQ pour une mise en valeur accrue du territoire agricole.

De plus, il faut souligner que la Loi sur l’acquisition de terres agricoles par des non-résidents ne s’applique pas aux parcelles de moins de quatre hectares. Ces superficies correspondent souvent aux besoins des modèles agricoles émergents. La concurrence du marché pourrait alors priver la relève de parcelles pour des fermes de petite taille.

Devant tant de maladresse et d’inconséquence, il y a vraiment lieu d’être inquiet.

Outre l’Union des producteurs agricoles (UPA) et, à certains égards, l’Union paysanne, on compte parmi les inquiets plusieurs acteurs de la société civile : Équiterre, Vivre en Ville, le Centre québécois du droit de l’environnement, Nature Québec, Protec-Terre, l’Ordre des urbanistes du Québec et le Regroupement des conseils régionaux de l’environnement.

Bon nombre de spécialistes partagent cette inquiétude, y compris ceux qui ne se sont pas encore prononcés. Au congrès de l’UPA, les chefs des trois partis de l’opposition ont aussi abordé le sujet du morcellement et fait référence aux problématiques évoquées ici. D’où qu’ils viennent, les constats se recoupent et les inquiétudes s’additionnent.

Mais le gouvernement demeure relativement serein. C’est le plus inquiétant.

Avec les crises climatique et environnementale en émergence, les aléas d’une pandémie qui n’en finit plus et un approvisionnement des marchés fragilisé, notre sécurité alimentaire se précarise.

Sommes-nous en train d’oublier, comme dans les années 1960, que la terre est le chaînon indispensable de notre alimentation ? La gravité de cette situation ne commande-t-elle pas une corvée nationale ? Imaginons une démarche non partisane, à laquelle se grefferaient la société civile et diverses institutions pour rassembler ce qu’il y a au Québec de meilleur pour éviter le pire.

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