Le pays d’Anne de la maison aux pignons verts est devenu, au cours des cinq dernières années, l’endroit le plus hospitalier aux Amish de toute l’Amérique du Nord. Cette histoire d’amour entre les Amish et l’Île mérite d’être mieux connue au Québec puisqu’elle permet d’apprécier le contraste entre l’interculturalisme québécois et le multiculturalisme canadien. Mais commençons par le début : qui sont les Amish ?

Les Amish constituent un groupe religieux qu’on pourrait qualifier de protestant radical, poussant plus loin la révolution protestante antipapiste du XVIe siècle que ne le font les églises protestantes elles-mêmes. Ainsi, la plus haute autorité religieuse chez les Amish est un bishop qui est plus ou moins tiré au sort et dont l’autorité se limite aux périmètres du district, une entité regroupant typiquement une vingtaine de familles.

Les Amish fréquentent des écoles communautaires jusqu’en huitième année, après quoi les garçons commencent habituellement l’apprentissage d’un métier manuel alors que les filles s’investissent le plus souvent dans des tâches reliées au care. Aux États-Unis, où vivent présentement environ 350 000 Amish, ces écoles déclarées légales par un jugement de la Cour suprême en 1972 (Wisconsin v. Yoder) demeurent controversées. Leurs détracteurs leur reprochent de rendre très difficile l’intégration des jeunes Amish (et en particulier des filles) à la société majoritaire.

À l’Île-du-Prince-Édouard, ce genre de critique n’a jamais été énoncé : il y règne un fort consensus selon lequel l’État ne devrait pas intervenir dans le mode de vie traditionnel des Amish, surtout connus du grand public pour leur rejet catégorique de la voiture, leur tenue vestimentaire traditionnelle et le maintien de leur langue germanique, le Deitsch.

Lorsque les premières familles Amish originaires de l’Ontario commencèrent à tâter le terrain à l’Île vers 2014-2015, il y avait un problème : l’école à la maison et l’école privée étaient alors encadrées par l’État. Dans le cas de l’école à la maison, l’encadrement était minimal : en gros, le tuteur devait faire approuver par le ministère de l’Éducation un plan d’enseignement. Cette obligation était toutefois jugée trop contraignante par les Amish, qui étaient sur le point d’abandonner le projet de migration.

Déterminé à les recruter, le gouvernement libéral de Wade MacLauchlan (2015-2019) décide alors, à partir de 2016, de modifier sa Loi sur les écoles pour enlever toute forme de réglementation pour l’école à la maison. Les écoles communautaires amish y sont désormais 100 % légales. Les familles Amish affluent depuis. Les trois partis présents à l’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard s’entendent sur l’importance d’en attirer davantage et de les faire sentir chez eux.

PHOTO HANNAH MCKAY, ARCHIVES REUTERS

Des Amish marchent près de la Maison-Blanche, à Washington.

Citoyens pacifiques

Seulement dans le Guardian, le quotidien de la province, on compte une trentaine d’articles – tous neutres ou positifs – à l’endroit des Amish. Le gouvernement MacLauchlan a même innové en développant un système unique au Canada – et aux États-Unis – permettant aux Amish d’avoir accès gratuitement au système de santé public sans qu’ils aient à utiliser une carte d’assurance maladie – une telle « assurance » étant en tension avec leur confiance en Dieu. En Ontario, au Nouveau-Brunswick et au Manitoba, les Amish paient de leur poche lorsqu’ils doivent aller à l’hôpital, mais pas à l’Île.

Les Amish semblent rappeler aux Prince-Édouardiens le mythe de leur passé idyllique narré par les romans de Maud Montgomery.

Plus prosaïquement, ils sont perçus comme des citoyens pacifiques, payant leurs impôts en se gardant d’utiliser plusieurs services publics, dont l’école publique, mais aussi l’aide sociale ou les allocations familiales, qu’ils rejettent pour des motifs religieux.

Enfin, installés dans l’est de l’Île, les Amish promettent de revitaliser le secteur agricole de la région et, moyennant environ sept enfants par famille, de repeupler le territoire. À l’échelle nord-américaine, la population amish double tous les 20 ans : il y a fort à parier que les Amish s’imposeront, au cours des prochaines décennies, comme un groupe incontournable dans la vie publique de la province, dont la population totale, faut-il le rappeler, est comparable à celle de Lévis.

L’attitude des élus de l’Île illustre bien l’idéal du multiculturalisme canadien : la société est ici conçue comme une terre d’accueil où des groupes très différents apprennent à cohabiter les uns avec les autres sans qu’il y ait un groupe majoritaire auquel il s’agirait de s’intégrer. Au Québec, où l’encadrement de l’école à la maison a été resserré sous le gouvernement Legault, les écoles communautaires amish seraient illégales, ne respectant ni le curriculum provincial ni l’obligation de scolarisation jusqu’à l’âge de 16 ans. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’y a pas d’Amish au Québec, où prévaut la doctrine de l’interculturalisme : la société contient un groupe majoritaire cherchant à créer une certaine culture commune avec les groupes minoritaires.

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