En politique, les images sont souvent trompeuses. Prenons deux cas récents : la carte postale féministe et progressiste du résultat des toutes récentes élections municipales, toute pimpante de nouveauté et de coolitude, et l’image du chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, renâclant à se présenter dans la circonscription de Marie-Victorin. Des gagnants et un loser, vraiment ?

Arrêt sur image.

Impossible de ne pas se réjouir du résultat des élections municipales. C’est un vent frais qui a soufflé sur tout le Québec, avec un nombre record de femmes élues, quelques représentants des Premières Nations, et, peut-être plus déterminant à long terme, une toute nouvelle génération aux commandes. C’est la représentation d’un Québec plus jeune, plus paritaire, soucieux d’enjeux nouveaux et puissants comme celui de l’environnement.

La photo de groupe est éloquente. Elle ringardise instantanément le prototype de l’élu municipal quinquagénaire, un brin porté sur la magouille avec les promoteurs immobiliers locaux, qui était encore le modèle courant au scrutin précédent. On se dit spontanément : voici un grand pas, un appel d’air qui aura des répercussions au-delà du municipal ; sur la vie politique en général, inspirant de nouvelles candidatures à tous les ordres de gouvernance.

Mais les couleurs pimpantes de la photo ne devraient pas nous aveugler.

Rappelons qu’à peine 37 % de la population québécoise est allée voter lors de ces élections pourtant capitales, le municipal étant l’ordre de gouvernement où le derrière de l’élu est le plus près du pied du citoyen, et que la moitié des postes à pourvoir l’ont été par acclamation.

Cela devrait modérer les grands enthousiasmes allant dans le sens d’une vision d’une nouvelle politique idéalisée. On sera aussi tentés de se garder une petite gêne lorsqu’on superpose la carte électorale provinciale à la carte municipale. Toutes les projections des sondages en vue de l’élection générale de l’an prochain indiquent que le Québec sera peint d’une épaisse couche de peinture bleu pâle, avec quelques taches rouges et orange, ici et là, et que même quelques circonscriptions de l’imprenable 514 passeraient à la CAQ.

Si cela s’avère, ça pose un important problème de dissonance cognitive. Comment le même électeur peut-il être si « progressiste » au municipal et si « conservateur » au national ? Comment un résultat aussi indicatif de changement au palier local se changerait-il en vote à droite au provincial ? Y a-t-il fracture à ce point ? L’électeur est-il bipolaire ? La CAQ est-elle plus prête qu’on ne l’imagine à s’ouvrir à des enjeux plus progressistes ? Les jeunes maires et mairesses seraient-ils plus conservateurs qu’on ne les a dépeints généralement dans les médias ? De bien belles questions qui viennent montrer que tout n’est pas noir ou blanc et que les réponses sont sûrement dans les nuances. La jeunesse, tout comme les femmes, ne change pas miraculeusement la politique, mais l’amène tranquillement à se modifier. Parce qu’au-delà des personnalités fulgurantes, la politique est et restera un système lourd, à la mue laborieuse…

La deuxième photo nous est fournie par le premier ministre et certains commentateurs, qui voient dans l’hésitation de Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois, à se présenter dans la circonscription de Marie-Victorin un signe de faiblesse. On grossit les traits, on insiste… On peut aussi lire dans cette pression un bel étalage de bullying politique. Tous savent que la CAQ est à quelques votes de reprendre le siège.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Les élections sont dans moins d’un an, Plamondon et sa famille habitent la région de Québec, bref, se présenter serait se précipiter dans un piège à con. La photo est donc trompeuse, esquissant les contours d’un chef au leadership faible plutôt que ceux d’un politicien sincère qui évite le piège et qui pense à l’avenir.

Nous aimons les simplifications extrêmes, tout comme on souhaiterait que la vie politique s’améliore suivant une courbe ascendante constante et rapide. Nous adorons décrire les phénomènes de manière sans équivoque, dépeindre les politiciens de façon tranchée. Or, les choses sont plus complexes. Le Québec, comme bien des démocraties, est fracturé de toutes parts. Le meilleur côtoie le plus décevant. Les gens et les idées n’avancent pas à vitesse égale ni constante, il arrive qu’on recule pour mieux rebondir, ou que des avancées soient moins spectaculaires qu’il n’y paraît. Gardons-nous d’évaluer la santé de notre vie démocratique, et celle de femmes et d’hommes qui donnent le meilleur d’eux-mêmes en termes trop simplificateurs.

Une image, dit-on, vaut mille mots. Il serait dommage de les résumer à deux : révolutionnaire et peureux. Notre intelligence collective est capable de plus…

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