L’auteure s’adresse au ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé.

M. Dubé, on ne devient pas inhalothérapeute, ou professionnel de la santé, parce que l’on cherche la gloire, l’attention ou de grands moments de célébrité. Au contraire, on recherche les petits moments. Ces petits moments qui ont pourtant le pouvoir de changer une vie.

On recherche le contact avec le réel, avec les usagers qui nous entourent, que l’on traite. On cherche à accompagner nos patients à travers des moments difficiles. Fort probablement certains des plus difficiles qu’ils auront à traverser de leur vie. On cherche à traverser ces moments avec un niveau de professionnalisme, d’humanisme et de compétence technique et clinique hors du commun.

Donc, tout ça pour vous dire que je n’ai jamais cherché le spotlight. Cependant, on ne s’attend pas à être oubliée, démobilisée et tassée… À ce point de quasi-non-retour tel que je le ressens présentement.

Voyez-vous, toute ma carrière (bientôt 17 ans), j’aurai travaillé à temps partiel ! Insensé, me direz-vous peut-être... Pour plusieurs raisons. Pour ma santé mentale, mes voyages, ma famille, mes amis, mes enfants, mes loisirs, ma formation continue.

Pour vivre la vie.

Ce choix m’a permis de continuer à aimer mon travail, d’y être dévouée chaque fois que j’y mets les pieds et d’avoir le goût d’y revenir. J’ai la chance de pouvoir faire ce choix. Certains diront que l’on fait tous notre chance, mais ça, c’est un autre sujet.

L'ère de la sobriété

Je suis d’ailleurs rassurée quand je vois le monde autour de moi changer. De plus en plus de pays parlent de la semaine de travail de quatre jours. D’ailleurs, ici même à Montréal tout récemment, les Studios Eidos ont fait le saut ; sans aucun changement à leurs conditions ou salaires, leur semaine passera de cinq à quatre jours. D’autres emboîteront le pas.

J’ai la ferme croyance que nous entrons dans l’ère de la sobriété, où l’efficience et la productivité seront enfin départagées. Où le temps est précieux, et le temps pour s’occuper des gens que l’on aime et soi-même l’est encore plus.

Mais voilà, vous comptez regarnir les rangs de ma profession avec un concept qui est tout le contraire de ce que je viens de décrire. Pour être le moindrement considérée dans votre plan de recrutement, le temps complet est le seul salut possible.

Cela fait 20 mois que je travaille un peu dans l’ombre pendant que mon conjoint, infirmier frappé par votre décret, travaille plus que jamais. Que ce soit dans l’est de Montréal dans les unités de soins intensifs COVID-19 ou dans les salles d’opération du centre-ville. Avec deux jeunes enfants à la maison, vous comprendrez que retourner dans le réseau avec un conjoint qui y est omniprésent, et des décrets à la pelletée, n’était pas un choix viable. J’ai donc fait ce que j’ai pu, sans me plaindre (parce que je ne suis pas à plaindre), et j’ai travaillé auprès d’un spécialiste en santé respiratoire, de la maison, à temps partiel.

Ensuite est apparue la campagne de vaccination. J’ai levé la main ; le manque de main-d’œuvre, l’horaire flexible, la chance inouïe d’avoir un vaccin efficace… Toutes de bonnes raisons de contribuer et de participer à la sortie de cette crise.

Nous voilà donc neuf mois plus tard et 87 % de la population québécoise de plus de 12 ans est vaccinée ! Pour l’après-COVID, un plan caquiste se pointe donc le bout nez. J’ai hâte. Souvenez-vous : j’aime ma profession, j’aime mon expertise, j’aime ma clientèle et ma clientèle m’aime. Même 17 ans plus tard.

Mais, pour autant, je n’ai pas changé. Travailler à temps plein, une fin de semaine sur deux, de jour, de soir, de nuit… ce n’est pas compatible avec cet équilibre précieux que je recherche. Je reviendrai donc regarnir les rangs à quatre jours par semaine, ou « huit quinzaine », comme on dit dans le réseau.

Et je boucle la boucle.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Après avoir travaillé pour la campagne de vaccination, l’auteure s’apprête à retourner pratiquer son métier d’inhalothérapeute.

De zéro à huit

Voici que je signe un contrat avec ce réseau, avec vous, et j’offrirai huit journées de travail toutes les deux semaines alors que présentement, je ne suis pas comptabilisée du tout dans vos effectifs. De zéro à huit à partir du 10 janvier 2022. C’est bien, ça, non ?

Comprenez-moi bien, je ne vous écris pas aujourd’hui parce que je recherche de l’argent ou la gloire. Mais un peu de reconnaissance peut-être. Et certainement un peu d’humanisme de la part de mon ministre de la Santé. Votre plan traduit votre vision et vous me semblez bien myope.

Je pense surtout à toutes ces professionnelles qui ont été présentes pendant les premières vagues, qui ont fait des heures supplémentaires obligatoires, qui ont contracté la maladie, qui n’ont pas abandonné le bateau… Tout cela en travaillant à temps partiel. Elles ne recevront rien.

Je pense aux autres comme moi, qui ne recevront aucune compensation, prime ou reconnaissance à la suite de leur retour dans le réseau, puisque ça ne sera pas à temps plein. Comme si lorsque nous sommes à temps partiel, les moments sur le plancher, à soigner, comptent moins.

Votre plan est empreint de méconnaissance et de déconnexion. Vous pensez remplir des cases horaires avec des statistiques « d’équivalent temps plein », mais vous oubliez la réalité. La réalité du plancher où ces professionnelles ETP perdent au change. Perdront possiblement leur équilibre et nous nous retrouverons tous à la case départ.

Tant mieux pour ces professionnelles qui signent, de leur main et de leur liberté, votre « entente » pour avoir droit à ces quelques milliers de dollars, au bout d’un an. Peut-être.

Dans ce lot, principalement, des professionnelles qui sortent de la retraite pour prêter main-forte et des plus jeunes qui augmentent leur poste pour avoir des sous.

Je n’y vois cependant pas de solutions pérennes, malgré vos points de presse que vous voulez encourageants. Je n’y vois que de la poudre aux yeux… une poudre qui camoufle pour l’instant, une poudre qui se dissipera dans l’atmosphère à temps pour éviter le tordeur des prochaines élections provinciales.

Et pendant ce temps, je reviendrai pratiquer un métier que j’aime et avant même d’y mettre les pieds, je me sens dépréciée, démobilisée.

Mais, contre vents et marées, je continue à valoriser par-dessus tout cet équilibre. Cette nécessité pour moi de ne pas travailler à temps plein dans un milieu qui sape beaucoup d’énergie vitale. Pour mes études que je continue à réaliser à temps partiel. Pour mes enfants que j’aime. Pour ma famille et ma vie amoureuse qui me nourrit. Pour vivre.

Pour maintenir mon énergie vitale qui me permet d’être l’inhalothérapeute dont vous avez besoin sur le plancher. Compétente et énergisée par son métier.

Cependant, je me répète je le sais, votre plan n’est pas une solution à long terme, mais bien une solution à terme politique. Un plan qui, vous le souhaitez, vous servira en octobre 2022. J’ai bien hâte de voir, je demeure pourtant très sceptique.

L’avenir nous le dira. Je serai en poste dans un an pour vous en donner des nouvelles si vous voulez.

Vous, dans un an, où serez-vous, M. Dubé ?

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