« Ceci n’est plus une conférence sur le climat », a critiqué la semaine dernière la militante suédoise Greta Thunberg. « Ceci est maintenant un festival mondial de l’écoblanchiment. »

Bien qu’il soit encore trop tôt pour conclure que la COP26 est un échec, Thunberg a certainement raison sur un point : le nombre d’engagements environnementaux formulés par des États et des entreprises au cours des dernières semaines est étourdissant, et il devient difficile de distinguer les avancées concrètes du blabla. Or, malgré l’importance croissante des enjeux environnementaux et des engagements en faveur de la carboneutralité, le Canada ne considère toujours pas la lutte contre l’écoblanchiment comme une priorité.

Le développement durable a la cote : plus d’un cinquième des plus importantes entreprises mondiales ont annoncé avoir comme objectif de devenir carboneutres au cours des prochaines décennies, et la plupart des grandes entreprises canadiennes ont rejoint le mouvement. En effet, les cinq plus grandes banques canadiennes ont toutes pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 (à l’exception de CIBC, qui vise 2024) ; Air Canada désire réduire de 20 % ses émissions de GES issues de vols d’ici 2030, et Enbridge a promis de réduire ses émissions internes de 30 % d’ici 2030.

Même les pétrolières canadiennes ont annoncé une alliance afin d’atteindre la carboneutralité au cours des prochaines années, misant sur la séquestration du carbone et les technologies de réduction des GES.

Ces engagements peuvent être bons pour les affaires : selon une étude de 2019 menée par PwC1, un tiers des consommateurs canadiens seraient prêts à payer plus cher pour des produits reflétant leurs considérations éthiques et environnementales ou pour des marques engagées en faveur du développement durable.

Cependant, il n’est pas toujours clair si le « développement durable » est une vulgaire stratégie marketing ou un réel engagement en faveur d’un changement systémique. Selon une étude internationale récente, environ 40 % des publicités mettant en valeur le caractère durable ou écoresponsable d’un produit ou service seraient fausses ou trompeuses. Évidemment, la durabilité ne devrait pas être un simple positionnement commercial, et toute indication vantant l’écoresponsabilité d’un produit ou d’une entreprise devrait être basée sur des faits. Il ne s’agit pas là d’une simple opinion : c’est la loi. En vertu de la Loi sur la concurrence, administrée par le Bureau de la concurrence (dont les bureaux sont situés à Gatineau), il est illégal de formuler des indications fausses ou trompeuses afin de promouvoir un produit ou des intérêts commerciaux sans preuve suffisante.

Pas une priorité

Étrangement, la lutte contre l’écoblanchiment n’a pas été une priorité pour le Bureau de la concurrence au cours des dernières années : aucun des plans stratégiques de l’agence fédérale ne fait référence à l’environnement ou au développement durable, et le Bureau n’a jamais formulé d’engagement concret en faveur de la lutte contre les changements climatiques. En juin dernier, le Centre québécois du droit de l’environnement a déposé une plainte pour écoblanchiment à l’égard du projet Gazoduq de Symbio Infrastructure, mais le Bureau n’y a jusqu’à présent donné aucune suite. Une plainte similaire a été déposée mercredi dernier par Greenpeace Canada contre la pétrolière Shell relativement à un programme de compensation à la pompe des émissions de GES. Il reste à voir si cette démarche, qui s’inspire d’une plainte similaire déposée aux Pays-Bas, sera plus fructueuse.

Pendant ce temps, les agences de la concurrence du monde entier ont commencé à utiliser leurs pouvoirs afin de lutter contre l’écoblanchiment.

Par exemple, l’agence de la concurrence du Royaume-Uni a récemment émis de nouvelles lignes directrices en matière de publicité « verte », en plus d’annoncer qu’elle enquêterait sur les déclarations publicitaires misant sur le développement durable au cours de la prochaine année. De plus, l’agence de la concurrence des Pays-Bas a annoncé cette semaine avoir lancé une enquête sur les pratiques d’écoblanchiment de l’industrie néerlandaise de la mode. Pourquoi le Canada ne rejoint-il pas cette tendance encourageante ?

Bien sûr, la définition exacte de ce qui constitue un produit ou une entreprise écoresponsable ne fait pas toujours consensus, et certains diront que le Bureau n’a pas l’expertise nécessaire afin de sévir contre l’écoblanchiment. Or, le même argument pourrait être soulevé dans d’autres secteurs de l’économie où le Bureau intervient déjà, comme les technologies numériques et les produits médicaux.

Par ailleurs, il existe déjà de nombreuses agences fédérales qui ne relèvent pas d’Environnement et Changement climatique Canada et qui utilisent leurs compétences afin d’assurer la protection de l’environnement. Par exemple, l’Agence des services frontaliers du Canada utilise son expertise afin de lutter contre l’introduction d’espèces invasives et de maladies pouvant affecter la faune et la flore. De même, l’Agence de la santé publique du Canada s’est engagée à développer un programme de lutte contre les maladies infectieuses associées aux changements climatiques.

Pourquoi le Bureau de la concurrence ne pourrait-il pas se fixer des objectifs similaires dans son propre champ d’activités ? Le commissaire de la concurrence, Matthew Boswell, a plaidé récemment pour un « examen approfondi de la Loi sur la concurrence » qui permettrait d’adapter nos lois « à la réalité d’aujourd’hui ». La lutte contre l’écoblanchiment devrait être au cœur de telles discussions. Réveillons le chien de garde !

1. Consultez l’étude de PwC (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion