Alors que se poursuivent les tractations pour former la nouvelle coalition qui dirigera l’Allemagne à la suite de l’élection du 26 septembre dernier, la chancelière Angela Merkel assure péniblement la continuité du gouvernement. La négociation entre les sociaux-démocrates (SPD), les verts (Grüne) et les libéraux (FDP) s’annonçant particulièrement complexe, on peut s’attendre à ce que l’État allemand fonctionne au ralenti pendant plusieurs mois, une situation loin d’être idéale en cette période de crise pandémique.

Rentrée au Canada depuis peu après avoir passé huit ans en Allemagne, dont quatre à titre d’ambassadrice du Canada, je continue de suivre les développements dans ce pays qui est la première puissance économique de l’Europe et un partenaire important pour le Canada. L’impression générale que peuvent avoir les Canadiens de l’Allemagne est celle d’un pays extrêmement bien géré par une chancelière extraordinaire qui a su maintenir la stabilité et la prospérité de son pays contre vents et marées.

Si cette impression positive est justifiée à bien des égards, elle ne reflète toutefois pas l’ensemble du bilan d’Angela Merkel et de l’évolution de l’Allemagne au cours des 16 dernières années marquées par sa gouverne.

Je suis arrivée en Allemagne en septembre 2013 juste à temps pour assister à la réélection de la chancelière alors que l’alliance chrétienne-démocrate formée par la CDU et son parti frère bavarois (CSU) venait d’enregistrer un score impressionnant avec 41,5 % des suffrages. Lorsque l’on considère les 24,1 % du vote obtenus lors de l’élection fédérale de septembre dernier, on peut mesurer l’ampleur de la dégringolade de l’alliance qui a ainsi connu le pire résultat depuis sa création en 1949.

Beaucoup d’encre a coulé pour tenter d’expliquer cette défaite annoncée : désir de changement, faiblesse du candidat de la CDU, tensions dans l’alliance CDU-CSU, ressentiment persistant d’une partie de l’électorat conservateur à la suite de la décision de Merkel de laisser entrer plus de 1 million de réfugiés en 2015. Tout cela a bien sûr pesé sur le vote des électeurs. Mais il y a un facteur qui, quoique peu mentionné, me semble au moins aussi sinon plus important : le manque de relève au sein du parti de Mme Merkel, une situation causée par la chancelière elle-même qui, au fil des ans, a procédé à l’élimination subtile, mais systématique de tout concurrent potentiel qui aurait pu, à terme, chercher à l’éclipser et à la remplacer au sein de la CDU.

Il faut se rappeler que c’est en poussant son mentor Helmut Kohl vers la sortie en 1999 qu’Angela Merkel est devenue chef de la CDU et chancelière. Comme quoi cette politicienne extraordinaire, pour laquelle j’ai une grande admiration, a elle aussi ses lacunes qui, le cas échéant, ont mené son parti à une défaite historique. L’ironie de la situation est que l’alliance CDU-CSU aurait probablement remporté l’élection si Merkel avait été sa candidate plutôt que le terne Armin Laschelt.

PHOTO ODD ANDERSEN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Angela Merkel sur la galerie du public au Bundestag, à Berlin, le 26 octobre

Lourd processus décisionnel

Résidant à Berlin lorsque la pandémie a été déclarée en mars 2020, j’ai pu observer de près et souvent avec désarroi, la gestion de lutte contre la COVID-19 et de la vaccination. J’ai été frappée par la lourdeur du processus décisionnel allemand, les réunions interminables de la chancelière avec les ministres présidents des Länder (l’équivalent de nos provinces), la férocité, voire la violence des antivaccins, et surtout l’extrême lenteur de la mise en place du système de vaccination.

J’en prends comme exemple les six heures d’attente passées au téléphone en avril dernier afin que mon mari âgé de 66 ans puisse obtenir un rendez-vous pour recevoir un vaccin AstraZeneca offert soudainement et pour quelques jours seulement aux moins de 70 ans. Je repense aussi aux coûts astronomiques de la vaccination des personnes âgées dans des centres de vaccination difficilement accessibles qui ont mené le gouvernement de Berlin à payer les courses aller-retour en taxi aux personnes de plus de 70 ans désirant se faire vacciner.

Alors que je m’attendais à ce que l’Allemagne, où a été développé le vaccin Pfizer, soit l’un des pays les mieux organisés en termes de vaccination, j’ai été déçue et me suis graduellement mise à envier les Québécois qui pouvaient se faire vacciner de plus en plus rapidement et selon des modalités d’une simplicité et d'une efficacité exemplaires.

Je n’oublierai pas non plus de sitôt mon expérience lorsque j’ai fait transférer ma preuve de vaccination berlinoise sur un passeport de vaccination européen. Ce service fourni notamment par plusieurs pharmacies berlinoises et pour lequel celles-ci étaient rémunérées, devait en principe encourager les citoyens à obtenir un certificat européen et contribuer ainsi à la reprise de la mobilité des personnes, un des axes principaux de la construction européenne. L’attitude du personnel de la pharmacie où je me suis rendue n’avait absolument rien à voir avec l’accueil bienveillant et efficace dont j’ai bénéficié lorsque je me suis allée au Palais des congrès de Montréal pour obtenir un passeport vaccinal québécois sur la base de celui obtenu en Europe.

Il y aurait bien d’autres choses à dire sur ce j’appellerais le « mirage allemand », mais je voudrais terminer en mentionnant la saga de l’aéroport de Berlin. Le désormais célèbre fiasco de l’aéroport ne cesse d’étonner tout admirateur de l’efficacité allemande. Finalement inauguré en octobre 2020 avec neuf ans de retard et au coût de 6,5 milliards d’euros (plus de 9,3 milliards de dollars) alors que le budget initial était de 1,7 milliard (près de 2,5 milliards), l’aéroport continue de défrayer la chronique. Les voyageurs se plaignent des déficiences sur le plan de la signalisation et n’arrivent pas à franchir les contrôles de sécurité en moins de deux heures alors que l’achalandage tourne autour de 50 % de ce qu’il devrait être sans la pandémie.

Mon séjour prolongé en Allemagne a été fort intéressant. J’ai pu apprécier la qualité et le sérieux des nombreux politiciens que j’y ai rencontrés, mais j’ai aussi pu observer les faiblesses considérables du système allemand, souvent aggravées par celles de la bureaucratie de l’Union européenne. Finalement, je peux dire sans hésitation que le Canada n’a pas à craindre la comparaison avec l’Allemagne pour ce qui est de notre capacité à gérer des crises telles que l’actuelle pandémie.

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