Le jour du vote approche à Montréal avec un ordre du jour chargé pour les électeurs : sécurité publique, vie de quartier, transports collectifs, espaces verts, économie, environnement, propreté, déneigement, stationnement, habitation, taxes… ouf… et j’en passe. Et comme si ça ne suffisait pas, en amont du programme des partis, le degré de confiance que nous inspire un candidat joue un rôle décisif dans notre choix. Je me pose donc la question de savoir si Denis Coderre passe le test. Je pense à lui parce que j’ai des doutes à son sujet.

Une enquête du Journal de Montréal nous a appris récemment qu’Antoine Richard, le candidat à la mairie de l’arrondissement de Verdun pour le parti Ensemble Montréal – Équipe Denis Coderre, est un spéculateur foncier doublé du titre d’agent immobilier dont il se sert pour saisir des occasions de réaliser des flips. Être agent immobilier et conseiller municipal simultanément, comme l’était Michael Applebaum, maire déchu de triste mémoire, devrait être formellement interdit par la loi. Le cumul de ces rôles présente toutes les apparences du conflit d’intérêts.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Antoine Richard, candidat d’Ensemble Montréal – Équipe Denis Coderre

Le code d’éthique et de conduite des membres du conseil de la Ville de Montréal stipule qu’il est du devoir de chacun de ses membres d’éviter les conflits d’intérêts, même apparents ou potentiels. Il va sans dire qu’un maire d’arrondissement détient une foule d’informations privilégiées concernant les immeubles situés dans son arrondissement, qu’ils soient de propriété publique ou privée.

M. Richard saurait-il distinguer l’intérêt public que doit défendre un maire des intérêts privés que recherche tout naturellement un agent immobilier ?

C’est la question qui se pose parce que c’est là que réside le conflit d’intérêts apparent et potentiel que le code d’éthique veut prévenir. Denis Coderre ne voit pas le problème. Loin de désavouer son candidat, il lui réitère toute sa confiance.

Je serais curieux de savoir si Denis Coderre envisagerait de nommer un agent immobilier, quel qu’il soit, au comité exécutif de la Ville de Montréal s’il devenait maire de nouveau, sinon comment expliquer qu’il juge acceptable qu’un maire d’arrondissement puisse l’être ? Quelle compréhension Denis Coderre a-t-il du rôle d’un maire d’arrondissement à Montréal ? L’arrondissement de Verdun a une population de près de 70 000 habitants, nettement plus que la population de Granby, de Rimouski ou de Shawinigan, par exemple.

Des affairistes ?

Le cas de Demetra Kostarides, qui est candidate au poste de conseillère municipale dans Côte-des-Neiges pour le parti Ensemble Montréal, est tout aussi troublant. Mme Kostarides est liée à un scandale financier pour avoir été une dirigeante d’une firme de placements financiers condamnée pour avoir arnaqué des épargnants. Qui plus est, le véritable nom de Mme Kostarides est Kostaredes. Selon Finance et investissement, un journal financier québécois qui s’adresse aux professionnels du placement, « c’est ce changement dans la graphie de son nom qui aurait trompé la vigilance du personnel de la Chambre de la sécurité financière (CSF) ». Mme Kostarides fait maintenant l’objet d’une enquête de la CSF.

Le journal Finance et investissement écrit : « Comment une représentante dont les droits d’exercice auraient été suspendus en juin 2003 aurait-elle pu changer la graphie de son nom, faire carrière au sein de l’industrie sous ce nom et même devenir membre du comité de discipline de la CSF ? C’est le genre de question auquel la CSF tentera de répondre. » Mme Kostarides a dû également se retirer des activités professionnelles de Gestion de patrimoine SFL liées au mouvement Desjardins.

Ces entreprises prennent leurs distances (un euphémisme) de Mme Kostarides, mais Denis Coderre prend la défense de sa candidate.

Si M. Coderre est élu maire de Montréal, envisagerait-il de nommer Mme Kostarides au comité exécutif de la Ville de Montréal, sinon pourquoi la croit-il apte à agir à titre de conseillère municipale dans l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce ? Les élus municipaux ne sont pas des pions au service du maire de Montréal. Ils sont au service de leurs commettants et on doit s’attendre à ce qu’ils répondent aux plus exigeants critères de probité.

Les candidats Antoine Richard et Demetra Kostarides apparaissent comme des gens d’affaires peu scrupuleux. Les affairistes n’ont pas leur place au conseil municipal de la Ville de Montréal. Que ces deux candidats aient la confiance de Denis Coderre est étrange et soulève des doutes sur son propre jugement. La présence d’affairistes en politique est un poison. On les reconnaît à leur propension à utiliser leur fonction de serviteur public à leur avantage personnel en argent comptant ou d’une façon détournée. La commission Charbonneau a jeté un éclairage nécessaire sur cette pénible réalité. On souhaiterait que Denis Coderre en ait tiré des leçons, la première étant de ne jamais laisser des affairistes se présenter sous son enseigne.

Dette de 400 000 $

Ensemble Montréal a hérité dans la défaite de 2017 d’une dette de 400 000 $. Une dette qu’il traîne encore aujourd’hui parce que Denis Coderre a quitté le navire plutôt que de participer à la remise à flot des finances du parti dont il était le chef. On ne l’a revu qu’en mars dernier (quatre ans plus tard) après qu’il eut décidé de revenir au bercail pour être de nouveau le candidat d’Ensemble Montréal à la mairie.

M. Coderre assure qu’il lui a fallu tout ce temps pour se refaire une santé. Pourtant, il a accordé une première entrevue à Paul Arcand à peine six mois après l’élection de 2017, suivie d’apparitions publiques savamment distillées au cours des ans pour entretenir le mystère concernant son possible retour en politique municipale. Il s’est aussi mis à la tâche d’écrire son livre programme Retrouver Montréal, dont la publication a précédé de peu l’annonce de sa candidature.

M. Coderre est revenu à Ensemble Montréal un peu comme un cheveu sur la soupe. C’est comme s’il s’était résigné, à défaut de mieux, à reprendre la chefferie du parti qu’il avait créé en 2013. A-t-il envisagé la création d’un nouveau parti pour ensuite y renoncer ? Seul son tailleur le sait.

Quoi qu’il en soit, je m’inquiète qu’on puisse ajouter une nouvelle dette sur les épaules d’un parti dont les finances sont déjà fortement plombées, d’autant que si Denis Coderre perd de nouveau, on ne s’étonnera pas qu’il déguerpisse aussi vite qu’il est revenu. Je serais curieux de savoir comment se déroule le financement de son actuelle campagne électorale. En 2017, son parti a dépensé 1,5 million de dollars contre 1 million pour Projet Montréal. Cette année, le parti de Valérie Plante est entré dans la campagne avec un coffre bien garni de plus de 400 000 $.

En début de campagne, Denis Coderre a joué la carte de l’émotion en parlant abondamment des transformations personnelles qu’il dit avoir vécues après sa défaite de 2017. Comme si une élection pouvait servir à soigner son ego et à boucler la boucle de la mise à jour de son moi intérieur. Je ne suis pas certain que Denis Coderre ait convaincu plusieurs Montréalais de sa mutation par cette façon de faire. Pour mémoire, le maire Jean Doré a perdu en 1994 et lui aussi a voulu revenir à la barre quatre ans plus tard pour continuer le travail de refondation démocratique de Montréal que le RCM, sous son leadership, avait entrepris en 1986 après 30 ans d’administration du maire Drapeau, mais il n’en a pas fait une affaire personnelle. Il n’a pas cherché à créer un amalgame entre ses difficultés personnelles et les difficultés de Montréal.

Transparence

La transparence affichée par un candidat est de nature à inspirer confiance. À cet égard, les réponses évasives du candidat Coderre au sujet d’une possible contribution de la Ville de Montréal au retour du baseball majeur à Montréal sont décevantes, car plutôt que de clarifier les choses, il ajoute une couche à la devinette en prétextant que ce n’est pas le bon moment pour en parler, qu’il y a d’autres priorités au cours de cette campagne, que les négociations doivent se poursuivre, etc. Nous savons que Denis Coderre veut le retour du baseball à Montréal. Trouver toutes sortes d’excuses pour ne rien dire de ses visées est un affront à l’intelligence des Montréalais.

Il n’est guère plus convaincant à propos de son intention de permettre la construction d’édifices dépassant en hauteur le mont Royal. Une proposition dont il a ensuite tenté de diluer la portée en parlant plutôt de densité et de la nécessité d’avoir une discussion « intelligente » à ce sujet. Il n’est pas normal que les promoteurs soient les seuls à savoir ce qu’il veut dire. M. Coderre devrait avoir la décence de communiquer aux Montréalais les conclusions de ses rencontres avec les promoteurs immobiliers qui veulent construire en hauteur au centre-ville de Montréal. Après tout, c’est leur ville.

La dernière de ces cachotteries concerne son travail de consultant. Il refuse de fournir les informations concernant ses revenus et le nom de ses clients. Dans le contexte d’une élection, je ne doute pas que ses clients accepteraient de le libérer des ententes de confidentialité pour peu qu’il en fasse la demande. M. Coderre assure qu’il respecterait la loi s’il était élu le 7 novembre. Il laisse entendre qu’il publiera la liste complète de ses clients et qu’il remplira une déclaration d’intérêt comme la loi l’exige.

Ce qu’il ne nous dit pas cependant, c’est que la déclaration exigée par la loi requiert la mention des emplois qu’occupe l’élu au moment où elle est faite. S’il est élu, M. Coderre n’aura aucune obligation légale de déclarer le nom de ses clients des quatre dernières années. M. Coderre a été maire, il connaît cette loi. En pleine campagne électorale, il joue au plus fin, il fait preuve d’un manque de franchise, c’est le moins qu’on puisse dire, peu honorable.

* L’auteur a été membre du comité exécutif de la Communauté métropolitaine de Montréal. Candidat du RCM (Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal) à la mairie en 1998. Il a été chef de l’opposition officielle. Il a présidé le comité ad hoc qui a donné naissance au premier code d’éthique des membres du conseil municipal de Montréal adopté en juin 1990. Il est avocat à la retraite.

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