Première femme à la tête de la province, Heather Stefanson hérite d’un parti divisé

Samedi dernier, le Parti progressiste-conservateur du Manitoba (PPC) s’est choisi une nouvelle cheffe : Heather Stefanson. Il s’agit de la première femme élue à la tête de la formation. Remarquable en soit, l’évènement est encore plus spectaculaire dû au fait qu’elle devient par conséquent la première première ministre de cette province des Prairies. À court comme à moyen termes, cependant, elle devra affronter une série d’obstacles, tous plus périlleux les uns que les autres.

Départ de Brian Pallister

Le PPC est au pouvoir depuis 2016 et dirige actuellement un deuxième gouvernement majoritaire consécutif. Néanmoins, devenu extrêmement impopulaire en raison de sa gestion initiale de la pandémie, des relations acrimonieuses avec les syndicats et de ses « malheureux propos » dans le dossier de la réconciliation avec les Autochtones, l’ancien premier ministre et chef de la formation, Brian Pallister, a annoncé en août qu’il se retirait de la vie politique. Dès lors, une course au leadership s’ensuivit.

PHOTO DAVID LIPNOWSKI, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Brian Pallister, ex-premier ministre du Manitoba

En raison de notre système parlementaire, une telle situation implique que la nouvelle personne qui parvient à la tête du parti, lequel contrôle actuellement la majorité des sièges à l’Assemblée législative, devienne conséquemment première ministre de la province.

Course à la chefferie

Rapidement (lire : de manière quasi instantanée), la candidature de Heather Stefanson fut appuyée par plusieurs membres influents au sein de l’exécutif du parti, pour ensuite jouir du soutien de l’écrasante majorité du caucus. Élue sans interruption depuis 2000 et ayant occupé divers postes ministériels d’importance sous les gouvernements de Pallister, Stefanson s’est imposée comme la candidature du « changement dans la continuité ».

C’est dans ce contexte que la formation a annoncé des critères très imposants pour quiconque souhaiterait prendre part à la course. Entre autres, en l’espace de quatre semaines, les candidats devaient récolter 25 000 $ en dons et attirer au moins 1000 nouveaux membres (à noter que sous Pallister, le parti comptait environ 5000 membres ; il en compte maintenant près de 26 000).

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Shelly Glover en 2014

Or, à défaut de jouir du soutien de l’exécutif du parti, la seule adversaire de Stefanson, Shelly Glover, a cherché à se démarquer par une approche plus populiste et a attiré un électorat conservateur très insatisfait de l’establishment. Ancienne policière et ministre fédérale sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper, Glover voulait incarner un vent de renouveau. En outre, Glover s’est imposée comme la candidature préférée des groupes opposés aux mesures sanitaires ; un électorat qu’on retrouve surtout dans les régions rurales de la province. C’est d’ailleurs sur cet enjeu que les deux candidates s’opposaient le plus. Elles présentaient aussi deux styles de leadership très différents.

Bien que Glover eût l’avantage de ne pas être associée à l’impopulaire Pallister, on lui reconnaît néanmoins plusieurs des qualités et défauts associés à celui-ci : détermination, contrôle maximal du message et une certaine dose de populisme. Quant à Stefanson, on a presque oublié qu’elle fut ministre de la Santé sous Pallister, tant son style se démarque de celui de son ancien patron : on pense plutôt aux qualités de compassion, de collaboration et d’écoute.

51 % contre 49 %

Au terme d’un scrutin entièrement organisé par voie postale, qui a été couronné d’un taux de participation de 66 %, Stefanson l’emporte de justesse face à Glover (51 % contre 49 %) : 363 bulletins de vote les séparent !

Toutefois, plus de 1000 membres en règle du parti – dont la plupart habiteraient des régions rurales éloignées, associées surtout à l’électorat de Glover – n’ont pas pu prendre part au scrutin. Ces derniers n’ont tout simplement pas reçu leur trousse électorale à temps.

Préférant jeter le blâme sur le système postal, plutôt que d’élaborer une solution démocratique permettant à tous les membres de voter, l’exécutif du parti s’est entêté à ne pas réviser son plan de match initial.

Concrètement, cette fâcheuse situation a tourné en la faveur de Stefanson, favorite de l’establishment, dont les appuis sont davantage concentrés dans la région de Winnipeg. C’est pourquoi Glover avait demandé qu’on repousse l’annonce des résultats, afin que le dépouillement tienne compte des bulletins de vote retardataires, mais en vain…

Ainsi, la nouvelle première ministre du Manitoba est portée à ce poste forte de l’appui de 8405 membres de sa formation. Mais le véritable test se déroulera dans deux ans, lors des prochaines élections provinciales, où près d’un million de Manitobains seront appelés aux urnes.

Unité et division

Pendant une course à la chefferie, au moins deux clans s’affrontent. Une fois le scrutin passé, il est néanmoins crucial que le parti projette l’image d’un front commun et que le clan perdant concède la victoire. Or, étant donné le nombre de membres anti-establishment qui se sont rangés derrière Glover, et puisque celle-ci conteste la légitimité du scrutin, l’unité souhaitée risque d’être ternie par de sérieuses luttes intestines, qui opposent notamment les ailes urbaine et rurale du parti.

Dans ce contexte, le Nouveau Parti démocratique du Manitoba (NPD), dirigé par Wab Kinew, ne devrait pas avoir de difficulté à tirer avantage de la faiblesse des conservateurs et à reprendre le pouvoir en 2023. Devant une Stefanson peu charismatique à la tête d’un parti divisé et épuisé, Kinew aura plusieurs cartes de choix dans son jeu. En particulier, il pourra rappeler la mauvaise gestion du système de santé pendant la pandémie ; l’ancien ministère de Stefanson sous Pallister, alors qu’elle se faisait encore très discrète.

C’est difficile d’imaginer un meilleur contexte préélectoral pour le NPD !

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