(Edmonton) Dès le moment où les résultats officiels du référendum sur la péréquation du 18 octobre dernier ont été dévoilés, la machine à exagération et indignation s’est mise en branle.

D’abord, avec Jason Kenney qui affirme que les Albertains ont envoyé un « puissant message » à Ottawa quant à l’insatisfaction de la population albertaine à l’égard de la péréquation. Certes, 62 % a voté en faveur de la question proposant de retirer l’article 36.2 concernant la péréquation de la Constitution. Mais le taux de participation, qu’on estime à 39 % – Élections Alberta n’étant pas, semble-t-il, en mesure de le calculer –, est bien en deçà de ce à quoi on pouvait s’attendre d’un référendum présenté comme crucial pour obtenir justice sur le plan fiscal. Or, avec 60 % de Oui sur 39 % d’électeurs, on reste loin de la volonté générale de Rousseau. Pour compliquer encore plus le tableau, la capitale albertaine, Edmonton, a voté contre la proposition du gouvernement conservateur (52 %).

Or, à l’exagération s’est rapidement ajoutée l’indignation. Ainsi, les hasards du calendrier ont fait s’entrechoquer le résultat du référendum avec la nomination du nouveau ministre de l’Environnement du Canada, Steven Guilbeault, qui est décrite comme une « gifle au visage » par certains commentateurs.

Cette nomination, tout comme celle de Jonathan Wilkinson aux Ressources naturelles, ferait en sorte qu’il est encore plus urgent aujourd’hui qu’hier d’obtenir une nouvelle entente sur la péréquation, le statu quo fiscal n’étant plus tenable. Et il faudrait aussi envoyer un message fort au Québec comme quoi il devrait cesser de s’opposer à la construction de pipeline vers l’est. Malheureusement, le Québec est (trop) souvent visé dans ce débat, même s’il ne faut pas oublier que de nombreuses critiques ont été dirigées vers la Colombie-Britannique lorsque le premier ministre John Horgan utilisait tous les outils à sa disposition pour freiner, sans succès, le doublement du pipeline Trans Mountain.

Dans ces conditions, comment répondre au résultat ? D’abord, certainement pas en revoyant le livre des comptes, comme le préconise Jean-François Lisée dans un récent texte du Devoir, en affirmant que c’est « pour moitié avec l’argent des Québécois que le territoire de l’Alberta a été racheté aux Britanniques par le Canada en 1870 » (« Ce que nous doit l’Alberta »). Ce genre de comptabilité rétrospective à propos d’un territoire qui n’était pas l’Alberta à ce moment ne rime à rien et elle ne tient pas compte de la contribution économique de cette province qui reste majeure, selon un économiste favorable au principe de la péréquation (Trevor Tombe, « What Canada’s economy would look like if Alberta’s recession never happened »). Lisée cite Jean Chrétien, qui incarne une autre façon de voir le problème. Celle-ci consiste à dire que l’Alberta se plaint continuellement alors que cette province est en fait favorisée et que toutes ses jérémiades relèvent de la rancœur d’intellectuels, d’industriels et de politiciens frustrés qui sont parvenus à faire croire aux Albertains qu’ils étaient défavorisés alors que cela n’est pas le cas.

Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’il y a de telles poussées autonomistes en Alberta à des moments où l’anxiété économique, bien réelle, prend de l’ampleur. L’Alberta est globalement riche, mais il n’empêche qu’avec un taux de chômage de 8 %, de nombreux individus se trouvent en mauvaise position.

Entre la logique des bastards de l’Est qu’il faut laisser geler dans le noir et celle des « cheiks aux yeux bleus » qui veulent garder toute la richesse, tout en continuant de polluer, il existe une voie médiane. Elle consiste à dire que si Jason Kenney déforme le problème de la péréquation à des fins politiques, les résultats indiquent aussi que cet enjeu suscite des inquiétudes et des controverses ne relevant pas nécessairement de la manipulation et qui précède l’arrivée de Jason Kenney au pouvoir.

Par exemple, la néo-démocrate Rachel Notley, critique s’il en est de Jason Kenney, a tout de même affirmé que si le libellé de la question avait été différent, du type de « revoir la péréquation » et d’autres programmes similaires, elle aurait voté en faveur d’une telle proposition. Si Notley affirme cela maintenant, ce n’est pas simplement pour embêter Kenney et dire qu’il a bâclé, comme tout ce qu’il touche présentement, le référendum. C’est aussi parce qu’elle se doute qu’un référendum avec une question différente et une vraie campagne portant seulement sur ce sujet aurait fort probablement donné un résultat favorable à une option préconisant une forme d’examen de la formule de péréquation, tout en gardant le principe intact.

Le gouvernement libéral de Justin Trudeau devrait donc trouver un moyen de répondre autrement qu’en l’ignorant, surtout avec de nouvelles administrations municipales à Edmonton et à Calgary qui partagent les orientations politiques des libéraux. Mais il est peu probable que cela arrive, les priorités du gouvernement libéral étant ailleurs.

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