Heures réduites dans les commerces, attente interminable au restaurant, rénovations résidentielles reportées indéfiniment, rupture de services dans les hôpitaux… les effets de la rareté de main-d’œuvre sont bien réels. Que se passe-t-il sur le marché du travail ? Où sont passés les travailleurs ? Ces pénuries sont-elles passagères ? Ces questions sont sur toutes les lèvres et, malheureusement, les réponses ne sont pas si simples, et encore moins les solutions à privilégier.

La transition démographique

La principale cause de la rareté de main-d’œuvre actuelle est connue depuis bien longtemps. C’est un fait, une réalité bien prévisible qui a un nom : le vieillissement accéléré de la population québécoise.

Concrètement, cela signifie que depuis déjà plusieurs années, le nombre de personnes qui quittent le marché du travail pour prendre leur retraite est supérieur au nombre de jeunes qui y font leur entrée.

À l’heure actuelle, pour 100 personnes de 55 à 64 ans, il n’y a que 83 personnes de 20 à 29 ans. Alors qu’il y avait près de huit travailleurs potentiels par personne de 65 ans et plus en 1971, il n’y en aura plus que deux en 2031.

D’ici cette date, le bassin de travailleurs potentiels, soit les personnes de 20 à 64 ans, comptera près de 100 000 personnes de moins.

Le vieillissement de la population avait commencé à se faire sentir bien avant la pandémie, son impact s’étant d’abord traduit par une baisse du chômage et une hausse du taux d’emploi, il est maintenant devenu le principal frein à la croissance économique et à la pérennité des services essentiels.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La demande de main-d’œuvre est forte en restauration

Une reprise vigoureuse

Bien que la crise de la COVID-19 ait entraîné une forte contraction de l’économie, la reprise a été extrêmement vigoureuse. Ainsi, la vigueur et la rapidité de la reprise, conjuguée aux besoins pressants de personnel dans les soins de santé, ont créé une forte pression haussière sur la demande de main-d’œuvre. L’explosion des postes vacants depuis 2019, principalement dans les soins de santé et la construction, mais également dans les services professionnels, la restauration et l’hébergement, le commerce de détail et le secteur manufacturier témoigne de l’ampleur des besoins actuels.

L’intensité de la demande de travailleurs dépendra en bonne partie de la force de la croissance économique future, mais la demande pour les services en santé, elle, perdurera assurément.

La fermeture des frontières en 2020

D’autres raisons en lien avec la pandémie expliquent les pénuries actuelles, principalement les restrictions imposées aux frontières dès mars 2020. Le solde migratoire externe (interprovincial et international) a radicalement chuté passant de 93 474 en 2019 à 14 037 en 2020, une baisse de près de 80 000 travailleurs et étudiants étrangers ayant la possibilité de participer au marché du travail. Cela s’explique principalement par l’effondrement du solde des résidents non permanents (étudiants internationaux et travailleurs temporaires), mais aussi par les retards dans le traitement des dossiers des résidents permanents. Ces résultats, qui rompent avec la tendance à la hausse des années précédentes, pourraient en partie expliquer pourquoi le marché de l’emploi s’est si rapidement resserré en 2020.

L’assouplissement des restrictions sanitaires et un rattrapage rapide du traitement des demandes de résidence permanente pourraient permettre une certaine régularisation de la situation. Mais il faudra voir si cela suffit.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Recrutement par Publisac en temps de pandémie

Des priorités qui ont changé ?

Du côté des travailleurs, la très grande majorité des chômeurs pandémiques se sont replacés sur le marché du travail. Pour preuve, le taux de chômage diminue de façon soutenue et le taux d’activité a retrouvé son niveau prépandémique.

Il reste toutefois près de 60 000 chômeurs de plus qu’avant la pandémie. Bien que cela puisse paraître inconcevable étant donné qu’une part importante du nombre de postes vacants n’exige que peu de qualifications, il y a plusieurs raisons qui peuvent expliquer ce déséquilibre, notamment les prestations de soutien du revenu (PCU, PCRE, etc.) et les craintes pour la santé de plusieurs travailleurs.

Mais la pandémie semble également avoir eu un impact plus profond sur les décisions des travailleurs face au travail.

Plusieurs ont profité de la pandémie pour se réorienter vers des secteurs et professions plus prometteurs, mais aussi qui permettent une meilleure conciliation travail-vie personnelle. Les changements des habitudes occasionnés par la pandémie et les meilleures perspectives d’emploi pour les travailleurs pourraient avoir pour effet de modifier plus durablement les dynamiques du marché du travail. Avec pour conséquence un délestage prolongé des emplois faiblement rémunérés qui offrent de moins bonnes conditions de travail.

En août dernier aux États-Unis, plus de 4 millions d’Américains ont remis leur démission – ce qui a été baptisé « The Great Resignation » –, alors que les postes vacants atteignent des sommets. Bien qu’aucun cataclysme de pareille amplitude ne soit perceptible au Canada et encore moins au Québec, il est possible que la recherche des « meilleurs emplois » explique en partie la persistance du chômage de longue durée et crée de nouveaux déséquilibres sur le marché de l’emploi.

L’avenir nous dira quelles transformations induites par la pandémie seront les plus persistantes, mais d’ici là, il sera important d’en suivre attentivement l’évolution afin de poser les bons diagnostics et d’appliquer les solutions adéquates pour atténuer ces déséquilibres. Car contrairement à ce que certains prétendent, ce ne sont pas les pénuries de main-d’œuvre qui améliorent le sort des gens, mais le plein emploi. Il ne faut pas confondre les deux. Les pénuries ont des coûts économiques et sociaux – on le voit bien dans le système de santé.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion