Avec sa relativité restreinte, Einstein nous a appris que le mouvement est relatif. Tant qu’on ne change pas de direction ou de vitesse, on a l’impression d’être immobile. À tel point d’ailleurs que si, par exemple, deux vaisseaux spatiaux se croisent, chacun d’eux aura l’impression que c’est l’autre qui est en mouvement. Sans autre point de repère, il est impossible de savoir, du point de vue de chacun, lequel dit vrai.

Quand je consulte les actualités ou que j’observe simplement autour de moi, j’ai l’impression que tout dégringole à grande vitesse. Le système québécois semble s’écrouler, les hôpitaux, les écoles et les services aux gens en détresse arrivent de moins en moins à répondre à la demande. La classe moyenne croule sous les dettes au profit des plus riches pendant que les plus pauvres, les édentés se ghettoïsent, armés jusqu’aux… La culture s’engloutit vers un anglais de 88 mots qui ne sert qu’à commander un café chez Tim Hortons ou un iPhone chez Amazon. Les infrastructures se dégradent à un rythme impossible à gérer. Pendant que l’on construit des pistes cyclables au milieu des centaines de milliers de voitures, l’environnement rallonge l’été jusqu’en novembre.

Les mouvements politiques se polarisent vers les deux extrêmes, les croyances religieuses trônent au sommet de nos chartes et se radicalisent. Le rationalisme, qui a fait notre fortune, se décompose à vue d’œil.

J’ai parfois l’impression que le confinement de 2020, avec ses morts de faim et de soif dans les hospices désertés, ses écoles silencieuses, ses masques et sa distanciation, ses couvre-feux et ses fermetures forcées, n’a été qu’une répétition générale pour ce qui nous attend. La prochaine fois, ce ne sera pas un virus, ce sera la vraie vie, sans PCU.

Point de bascule

Difficile de prédire quand exactement nous atteindrons ce point de bascule lorsque nous sommes dans le mouvement, sans point de repère. C’est pourquoi j’ai décidé il y a quelques années déjà de quitter le vaisseau, bien avant le moment prévu, et de me trouver un coin tranquille, un canot de sauvetage en quelque sorte, d’où observer la chute. J’ai réglé les dettes, réduit le train de vie et fait bonne provision de bon vin. Bien sûr, mon canot sera entraîné lui aussi dans le mouvement, mais avec un peu de chance, seulement quelques années plus tard. Des années où l’on aurait voulu que je travaille, 60 heures par semaine, comme si de rien n’était, comme si le système allait tenir le coup, comme si j’allais ne pas mourir avant de pouvoir profiter de ce qu’il lui reste encore à offrir.

J’ai l’impression que des milliers d’infirmières, de préposés, d’enseignantes, d’éducatrices font le même choix. Des femmes en majorité, celles qui ont toujours représenté le meilleur espoir pour l’humanité et qui démissionnent en masse. Elles disent merci pour vos primes, M. Legault, mais non merci.

En ce qui me concerne, lorsque mon heure sera venue, je vais mourir debout, dans plusieurs années j’espère, verre à la main et, dans l’autre, celle de ma douce. Pas d’hôpitaux ni d’hospice pour moi, juste peut-être encore la télé, pour voir le point de bascule en direct, un dernier réconfort de ne quitter rien qui en valait la peine.

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