Le 8 octobre, La Presse nous informait que même aux Pays-Bas, champions du monde des habitants de grande taille, il n’est pas si facile d’être grand 1. Mais qu’en est-il au Québec pour cette minorité très visible ?

Lors de mon immigration au Québec, il y a 30 ans, je mesurais un pied de plus que le Québécois moyen. Combiné avec mon accent exotique, mon apparence était sans doute impressionnante. Depuis, j’ai rétréci un peu avec l’âge, tandis que la taille moyenne des Québécois a augmenté de 1 centimètre. Néanmoins, je continue à dépasser la foule. En me regardant, les gens soupçonnent à juste titre que je viens de loin. Et à tort, ils supposent que je suis anglophone.

Ainsi, quand j’entrais dans le kiosque d’une station-service dans les Laurentides, les deux dames à l’accueil, des Québécoises pure laine comme c’était la norme ces jours-là, me traitaient avec une certaine hésitation. Une fois la transaction complétée, on était tous soulagés, elles parce que je parlais français et moi, parce que j’avais réussi à me faire comprendre.

Mais quand j’avais la main sur la poignée de porte, l’inévitable arriva. « Monsieur, puis-je vous poser une question ? » « Allez-y, Madame. » « Combien mesurez-vous ? » « Trois mètres trente », ai-je répondu sans hésitation. « Tant que ça ? » « Oui, Madame. » Puis, après une courte hésitation, la suite aussi prévisible : « C’est combien ça, en pieds ? » J’ai prétendu ne pas le savoir et j’ai laissé les filles dans un mélange de doute et d’admiration.

Notamment, les femmes québécoises ne se gênent pas au sujet de ma taille. Il n’est pas rare, dans l’ascenseur, d’entendre deux parfaites inconnues dire, sans même baisser la voix : « Y est grand ! » « Non, Madame », sera ma réplique infaillible et véritable : « Je suis moyen. Mon frère, lui, il est grand ! »

Malheureusement, encore aujourd’hui, certaines personnes se sentent forcées de m’adresser la parole en anglais. C’est gentil de vouloir m’aider ainsi, mais, comme le français, l’anglais est une langue riche et compliquée. Ainsi, ma maîtrise de l’anglais et surtout la leur risquent de réduire la qualité de nos échanges.

Évidemment, je me sens comme Gulliver, celui à qui l’écrivain anglais du XVIIIe siècle Jonathan Swift faisait subir un naufrage sur une plage lointaine. Quand Gulliver se réveilla, il se trouvait entouré de petits bonshommes, les habitants du pays de Lilliput. Les livres de Swift décrivent son séjour chez eux et, par la suite, dans d’autres pays avec des habitants aussi étranges, l’objectif de Swift étant l’observation de sa propre culture.

Comme Gulliver, en participant à la société québécoise, j’y observe les façons de faire et j’apprends sur moi-même. Je dois m’efforcer de ne pas mesurer notre situation selon la règle hollandaise. Tant l’histoire écrite des Pays-Bas que son développement économique ont commencé plusieurs siècles plus tôt. Son indépendance, obtenue au XVIe siècle, a permis au pays de devenir une des premières républiques modernes, quatre siècles avant que le Québec eut passé son tour à deux occasions.

Par ailleurs, même si cette indépendance politique portait le drapeau de la liberté de religion, elle était surtout motivée par des besoins économiques. C’est sans doute la richesse du nouveau pays qui a permis aux Néerlandais de réaliser leur potentiel génétique et de devenir les hommes et femmes les plus grands du monde.

J’ai réussi à trouver le bonheur au Québec et à m’y faire une vie prospère. À part la nécessité d’obtenir une qualification locale, afin de vaincre les hésitations des employeurs, j’ai pu éviter les embûches classiques auxquelles l’immigrant est confronté.

Ma taille m’a sans doute aidé : partout dans le monde, les grandes personnes gagnent plus que leurs voisins de taille moyenne. Une vertèbre supplémentaire vaut de l’or ! Les désagréments des pommes de douche, des bols de toilette et des barres horizontales dans le métro ne sont que mineurs.

Évidemment, je ne parle même pas de celle qui m’a invité à m’installer au Québec : selon les statistiques, les femmes préfèrent les hommes élancés. La seule véritable discrimination que j’ai subie a été le refus d’une institution nationale à Québec de m’embaucher, parce que je venais de Montréal !

Mais en fin de compte, cette intégration réussie ne sera jamais plus que partielle : invité ou intrus, ce Québécois s’appellera toujours Gulliver.

1. Lisez « Aux Pays-Bas, les plus grands du monde rapetissent » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion