Les auteures s’adressent au premier ministre du Québec, François Legault

Monsieur le Premier Ministre, il y a un an, Joyce Echaquan décédait à l’Hôpital de Joliette, après avoir enregistré une vidéo exposant la violence raciste et sexiste dont elle a été victime. Joyce avait 37 ans et a laissé sa famille, dont ses sept enfants, sa communauté de Manawan et sa nation dans le deuil. Nous ne devons jamais oublier son nom.

L’enquête publique de la coroner a révélé les circonstances de son décès tragique et la nature structurelle de la discrimination envers les Autochtones dans le système de santé et des services sociaux. Au-delà des propos haineux, plusieurs éléments en amont ont été rapportés dont le fait qu’elle souffrait d’un problème cardiaque évitable si elle avait reçu des traitements à l’enfance et sa peur de l’hôpital à cause d’expériences de racisme répétées. Dans son rapport, la coroner Géhane Kamel émet comme première recommandation que le gouvernement québécois « reconnaisse l’existence du racisme systémique au sein de nos institutions et prenne l’engagement de contribuer à son élimination ».

Dans les derniers mois, nous avons assisté à la découverte de centaines de sépultures d’enfants victimes des pensionnats pour Autochtones, aux récits de disparition de femmes et de filles autochtones dans le silence et l’impunité et à la mise en lumière de nombreux cas de stérilisations forcées de femmes autochtones. Au Québec, des enfants disparus à la suite d’une consultation médicale n’ont toujours pas été retrouvés. Leurs familles les cherchent toujours.

À cela s’ajoute les nombreux rapports basés sur des témoignages déchirants dénonçant les conséquences du racisme systémique anti-Autochtone, notamment ceux de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), de la Commission de Vérité et de Réconciliation (2015), de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (2019), et de la commission Viens (2019).

Monsieur, ces constats rendent impossible le maintien de votre déni de la réalité du racisme systémique au Québec. Dernièrement, vous avez affirmé que vous n’avez « jamais vu un système […] qui était raciste » lors de vos mandats de ministre de l’Éducation et de la Santé. Écoutez les communautés autochtones et vous entendrez la discrimination vécue quant à l’accès à l’éducation ou au logement, aux relations avec les policiers ou la protection de la jeunesse, au système judiciaire et de la santé.

En tant que soignants sur le terrain dans différentes institutions et régions du Québec, nous sommes témoins des effets néfastes du racisme systémique. Il est la conséquence directe du projet génocidaire à l’origine du Canada et de l’oppression des peuples autochtones visant l’expropriation des territoires autochtones ancestraux à des fins d’exploitation des ressources. Il se reflète aussi dans le colonialisme médical au sein du système de santé, historiquement complice de l’appareil colonial, et qui perpétue jusqu’à aujourd’hui la normalisation de la violence envers les personnes autochtones, comme ce fut le cas pour Joyce Echaquan.

Actions concrètes et Principe de Joyce

La mort de Joyce a été une terrible tragédie pour nos enfants et moi. Je souhaite que les gouvernements du Québec et du Canada adoptent le Principe de Joyce afin que ce terrible évènement ne soit pas survenu en vain, que sa voix sonne le début de réels changements pour tous les Autochtones afin que plus jamais personne ne soit victime de racisme systémique.

Carol Dubé, conjoint de Joyce

Au-delà des mots et des rapports, il est temps d’agir pour mettre fin au racisme systémique, en commençant par l’implantation du Principe de Joyce. Ce principe, créé par le Conseil des Atikamekw de Manawan et le Conseil de la Nation Atikamekw, appelle les gouvernements à reconnaître le droit à l’autonomie et à l’autodétermination des peuples autochtones en matière de santé et services sociaux, y compris la reconnaissance et le respect de leurs savoirs et connaissances traditionnelles et vivantes. Le Collège des médecins du Québec, l’Association québécoise des infirmières et infirmiers, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec, le Centre universitaire de santé McGill, l’UQAT et les quatre facultés de médecine de la province l’ont appuyé, notamment.

M. Legault, les contradictions de vos propos nous laissent perplexes. Vous dites : « On accepte le Principe de Joyce, sauf pour le racisme systémique. » Le Principe de Joyce n’a de sens que dans le contexte de la lutte contre le racisme systémique. Les pistes de solution qu’il propose ciblent justement de manière concrète différents paliers du « système ». Vous répétez que vous voulez « l’action » tout en reculant sur votre engagement à entériner la sécurisation culturelle au sein de la loi sur la santé et les services sociaux. Vous dites que le racisme systémique divise la société alors qu’il s’inscrit justement dans une démarche d’inclusion, et qu’une majorité de la population québécoise reconnaît son existence. Votre déni efface le vécu des nations autochtones qui subissent quotidiennement ses effets dévastateurs.

Lors de son puissant témoignage à l’enquête de la coroner, Marie Wasianna Echaquan Dubé, la fille de Joyce Echaquan et Carol Dubé, a dit : « Je suis là parce que je veux que justice soit faite, pour que personne n’oublie Joyce Echaquan. »

Comme les centaines de personnes qui ont assisté aux cérémonies et veillées pour honorer sa mémoire, nous n’oublierons pas Joyce Echaquan. Nous exigeons, en appui à sa famille et à la nation Atikamekw Nehirowisiw, que vous adoptiez le Principe de Joyce et que vous implantiez ses recommandations. C’est la seule manière d’honorer sa mémoire, de lui rendre justice.

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