Saudade est un mot portugais pour lequel il n’y a pas vraiment de traduction précise. Dans la communauté lusophone, plusieurs vous diront que la saudade est un indescriptible état d’âme. En chanson – de Cesária Évora à Étienne Daho –, chacun a sa version, son refrain, son interprétation du mot. Ce mot, cet état d’âme, est un sentiment de mélancolie, de nostalgie, de convoitise.

Saudade est ce que je ressens au début de chaque automne, pourtant ma saison préférée et la plus belle à mes yeux. Sans surprise, comme le clocher de l’église de mon quartier qui retentit tous les jours à 18 h, je me retrouve – à la troisième semaine de chaque mois de septembre – mélancolique de l’été déjà derrière nous et nostalgique du jean blanc que j’ai rangé, avec regret.

Malgré la familiarité du sentiment, il me paraît bien différent cette année.

Peu de choses marquent l’évolution du temps comme une grossesse. Entre la fécondation et l’accouchement, il y a trois saisons. Face The Nation est la matinale dominicale d’actualités politiques, diffusée sur CBS. Son animatrice est l’excellente Margaret Brennan. Mme Brennan confiait au magazine The Hollywood Reporter que sa plus grande surprise, à son tout récent retour à l’animation après un congé de maternité, était la place qu’occupait encore la pandémie dans les nouvelles, due au nombre de cas de contamination encore très préoccupant aux États-Unis, courtoisie du variant Delta.

Ce constat alimente ma saudade, qui, en plus d’avoir un autre parfum cette saison, a commencé un peu plus tôt, sans que j’en sois consciente. Dans une publication sur sa page Facebook le 3 septembre dernier, le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, se disait inquiet. Malgré nos taux de vaccination presque exemplaires, le ministre prévoyait une augmentation du nombre de cas de COVID-19. Le retour en classe et celui au travail pour plusieurs voulait dire une hausse du nombre de contacts et, de surcroît, de cas de contamination. « Pendant que l’on apprend à vivre avec le virus », a écrit le ministre Dubé au début d’un paragraphe de sa missive. C’est une première phrase qui a fait pâlir toutes celles qui l’ont suivie.

Vivre avec le virus, malgré les sacrifices et les avancées scientifiques ? Des chiffres inquiétants aux États-Unis, en Alberta et, d’ici la fin du mois, peut-être aussi au Québec ? Je suis nostalgique de l’espoir abondant à la sortie, pour la deuxième fois, du centre de vaccination, il y a quelques mois. Si abondant qu’il aurait pu être mis en bouteille.

Les derniers jours ont été marqués par une saudade en pensant aux voyages qui seront certes encore une fois repoussés, comme l’ouverture des frontières terrestres avec les États-Unis. Des jours marqués aussi par une envie de sauter sur l’autoroute 89, vers le Vermont. Un désir de renouer avec une tradition quasi annuelle de visiter l’État de Bernie Sanders, pendant l’arrière-saison.

Depuis une semaine, le livre Peril, co-écrit par les journalistes américains Bob Woodward et Robert Costa, est offert en librairie. L’ouvrage – le dernier d’une trilogie, après Fear et Rage – documente la fin de la présidence de Donald Trump, le début de celle de Joe Biden et la transition entre les deux. C’est une prémisse annonciatrice d’un certain soulagement.

À une émission de télévision de fin de soirée, la semaine dernière, Woodward décrivait le passage de Donald Trump à la Maison-Blanche comme étant un acte de subversion ou une tentative d’acte de subversion, contre la démocratie. « Et le problème, a-t-il aussi dit, est que ça continue. » « Nous croyons que Trump sera à nouveau candidat en 2024, et il a déjà beaucoup d’appuis. » Ce que Woodward prédit veut aussi dire que cette atrophiante et contagieuse polarisation, exacerbée depuis la campagne présidentielle américaine de 2016, est là pour de bon. Et que la malsaine influence d’un Parti républicain schizophrène ressentie jusqu’au Canada le sera peut-être encore lors de nos prochaines élections fédérales.

Ce que j’aurais dû embouteiller n’est pas seulement l’espoir d’il y a quelques mois, post double vaccination, mais aussi ce court moment d’il n’y a pas si longtemps, quand il avait été permis de croire en une stabilité, à un retour à une certaine normale, et à la reprise du bon sens.

Je suis nostalgique du moment où les terrasses ont finalement pu rouvrir – un symbole, aussi faux soit-il, que nous avions vaincu. Je regrette de ne pas avoir fait l’embouteillage du 20 janvier dernier, date de la prestation de serment du président Biden et d’une journée de quiétude – bien que trop courte.

Même mon habituel optimiste ne peut faire fi des ravages du variant Delta, ni des signes suggérant le retour d’un chaos politique qui, encore une fois, se ferait ressentir jusqu’ici.

Heureusement, la musique apaise. Jusqu’au moins la première neige, j’aurais Étienne Daho et Cesária Évora en écoute continue.

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