Après 20 ans de présence en Afghanistan, les États-Unis ont quitté ce pays le 30 août dernier. La Chine a réagi en dénonçant ce « départ précipité ». Cette déclaration détonne puisque Pékin dénonce habituellement et systématiquement toute présence américaine près de ses frontières. Bref, on n’est pas habitué à tant de franchise ou même de candeur de la part de Pékin.

L’analyse différente faite par les autorités chinoises pour l’Afghanistan s’explique : il y avait prépondérance des avantages à voir les États-Unis embourbés dans ce pays. D’une part, les États-Unis se chargeaient de veiller à ce que des attaques terroristes ne se préparent pas à partir de l’Afghanistan. D’autre part, cette présence militaire américaine massive avait pour effet de limiter la capacité des États-Unis à intervenir sur d’autres théâtres d’opération.

Les États-Unis et la Chine font la même analyse ici. Comme l’a dit le président Biden : « Il n’y a rien que la Chine et la Russie souhaitent plus que de voir les États-Unis embourbés pour une autre décennie en Afghanistan. » Déjà, en avril, Pékin avait exhorté Washington à « prendre pleinement en compte les préoccupations raisonnables de la région en matière de sécurité ».

La Chine a néanmoins développé une stratégie alternative pour faire face à ce nouveau contexte géopolitique. Premier objectif : assurer la stabilité régionale et prévenir l’essor du terrorisme.

Vu de Pékin, les Ouïghours du Xinjiang constituent d’abord un problème sécuritaire même si selon Human Rights Watch et d’autres organisations, on fait plutôt face ici à des « crimes contre l’humanité » commis par le gouvernement chinois. Déjà, en juillet, une délégation talibane a rencontré en Chine le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. Pour Pékin, il s’agissait d’obtenir des assurances que le régime taliban ne soutienne pas le Mouvement islamiste du Turkestan oriental, une organisation séparatiste ouïghoure qui a revendiqué dans le passé des attentats en Chine.

Assurer la stabilité

Avec le départ des troupes américaines, la Chine doit s’assurer de la stabilité de l’Afghanistan et des pays frontaliers d’Asie centrale alors que les groupes djihadistes pourraient être galvanisés avec la victoire talibane. Il n’est certainement pas question d’envoyer des troupes chinoises en Afghanistan, mais l’engagement des talibans à empêcher les attaques terroristes ne sera pas nécessairement suffisant. Même des relations amicales avec le nouveau régime afghan ne constituent pas une garantie. En juillet dernier, au Pakistan voisin, pays ami de la Chine depuis des décennies, un attentat terroriste a coûté la vie à neuf ressortissants chinois. En Afghanistan même, à la fin août, une attaque suicide revendiquée par le « groupe État islamique dans la province du Khorasan », l’EIPK, a fait près de 200 morts. La Chine devra également se préoccuper de la sécurité dans les zones limitrophes, en Asie centrale. À cet égard, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), créée par la Chine et la Russie, est appelée à jouer un rôle de premier plan. Pour compléter l’architecture régionale de sécurité, Pékin a conclu plus tôt cette année avec Téhéran un pacte de coopération stratégique et l’OCS vient d’admettre l’Iran comme nouveau membre.

Le Tadjikistan, dont plusieurs centaines de citoyens sont allés combattre avec les groupes islamistes en Syrie, est un des États membres de l’OCS. Lors du sommet de l’organisation, le 17 septembre, le président tadjik, Emomali Rakhmon, a appelé à la création d’une « ceinture de sécurité » autour de l’Afghanistan pour empêcher une éventuelle expansion des groupes terroristes. Cette prudence est partagée à Pékin. Au cours du même sommet, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a dit « espérer » voir les autorités talibanes rompre les liens avec toutes les forces terroristes.

Bref, tant du côté de la Chine que des pays limitrophes d’Asie centrale, on est dans l’expectative puisque malgré les assurances de Kaboul, la situation sécuritaire demeure incertaine et volatile.

Traditionnellement, l’Asie centrale n’était pas une priorité pour la politique étrangère chinoise. Le retrait américain d’Afghanistan ne change pas fondamentalement cette vision des choses. Cependant, la nouvelle conjoncture géopolitique oblige Pékin à combler le vide sécuritaire dangereux qui a été créé. C’est l’objectif premier. Certes, la présence de minéraux stratégiques comme le lithium et de « terres rares » en Afghanistan est intéressante pour la Chine, mais la stabilité politique est un préalable à leur exploitation.

Déjà, la Chine s’est vu octroyer un statut privilégié par le nouveau régime afghan qui a fait savoir que ce pays sera le « principal partenaire » des talibans. C’est certainement une bonne nouvelle pour la Chine. Mais le regard des autorités chinoises porte plus du côté de l’Asie de l’Est et de l’Asie du Sud-Est. Si la Chine a dénoncé le « départ précipité » des États-Unis en Afghanistan, c’est un tout autre discours pour la mer de Chine méridionale alors que Pékin affirme que la présence américaine « compromet la stabilité dans la région ». La formation toute récente de l’Alliance entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni (ANKUS) redonne encore plus d’importance et d’acuité à la rivalité entre la Chine et les États-Unis dans la zone indo-pacifique et il est probable que c’est là, avant l’Afghanistan et l’Asie centrale, que Pékin fera ses plus importants investissements stratégiques.

* L’auteur détient un doctorat de l’Université de Paris-Sorbonne avec spécialité sur la politique étrangère chinoise.

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