Depuis le début de la campagne électorale, certains insistent que Justin Trudeau a commis une erreur grossière en propulsant le pays vers des élections que personne ne désirait. Les libéraux risqueraient de perdre le pouvoir pour cette seule raison. Pour accepter cette prémisse, il faut d’abord se convaincre que les Canadiens ont l’habitude de s’élancer vers les urnes. Qu’ils attendent impatiemment ces rendez-vous électoraux comme les chasseurs d’aubaines attendent le Boxing Day.

La réalité est tout autre – les électeurs suivent la politique d’un œil distrait. Malgré des signes préélectoraux habituellement sans équivoque, un grand nombre d’électeurs se déclare toujours surpris de voir une pancarte électorale apparaître devant un arrêt d’autobus.

Cette fois-ci n’est pas différente. La pandémie, j’en conviens, n’est pas une toile de fond coutumière. Mais nos processus démocratiques doivent-ils être suspendus jusqu’à ce qu’on arrive à convaincre le dernier « Maxime Bernier » de se faire vacciner ? Au lancement de la campagne, une majorité des restaurants au Canada étaient ouverts, les Canadiens assistaient à des matchs de sports professionnels partout au pays et une certaine normalité s’installait dans nos quotidiens. Cette normalité impliquait souvent un masque et une distanciation sociale, mais n’empêchait pas notre société de se pencher sur une foule de sujets – au-delà de la pandémie – qui méritait son attention.

On reproche à M. Trudeau de ne pas avoir terminé un mandat de quatre ans comme le stipule la loi électorale alors que l’esprit des dispositions touchant les élections à date fixe visait essentiellement les gouvernements majoritaires. Depuis 2004, les Canadiens ont élu quatre gouvernements minoritaires – celui de Paul Martin (2004), ceux de Stephen Harper (2006 et 2008) et celui de M. Trudeau (2019). Les électeurs ne s’attendaient jamais à ce que ces mandats durent quatre ans.

En fait, une revue des analyses de toutes ces élections révélerait que dès le lendemain, plusieurs spéculaient sur la longévité de ces gouvernements. L’élection d’octobre 2019 ne furent pas une exception.

M. Harper a lui aussi provoqué directement et indirectement la chute de ses gouvernements minoritaires – les électeurs ont toutefois paru indifférents, lui permettant à chaque élection d’améliorer sa performance jusqu’à lui accorder un gouvernement majoritaire en 2011.

On ne pourrait toutefois jamais accuser M. Martin d’avoir voulu précipiter le pays vers des élections. Les pirouettes qu’il exécutait pour s’accrocher au pouvoir étonnaient. M. Martin enfilait son uniforme de funambule et rien n’était à son épreuve. Les motions de censure battues grâce à la présence ultime d’un député atteint d’un cancer incurable ou par le vote prépondérant du président de la Chambre. Ou encore – les amateurs d’OD raffolaient – la défection choc de Belinda Stronach vers le Parti libéral et sa rupture amoureuse coïncidente avec le député conservateur Peter McKay. Mais était-ce vraiment la meilleure voie pour le Canada ? Un premier ministre distrait par des problèmes de gouvernance plutôt que par le sort du pays ? La réponse n’a pas tardé à venir avec la défaite des libéraux aux mains de M. Harper en 2006.

M. Trudeau a fait preuve de maladresse dès le départ en tentant de justifier les élections. S’il avait – comme les conservateurs – tablé son programme dans les premiers jours, il aurait pu s’en servir comme guide pédagogique. Malheureusement, ce mauvais pas l’a suivi jusqu’aux débats où il s’est un tantinet ressaisi sur le sujet. Ses opposants criaient leur indignation – craignant, disaient-ils, que des milliers de Canadiens se mettent à risque en assistant à des assemblées partisanes.

Cinq semaines plus tard, il faut conclure que seuls les hurluberlus qui ont pourchassé la caravane de M. Trudeau, lui lançant tantôt des insultes, tantôt des projectiles, ont couru sciemment un quelconque risque.

À en croire les sondages, il n’est pas impossible que tous les partis, sauf les libéraux, puissent accroître le nombre de leurs députés. M. O’Toole a mené une bonne campagne quoi qu’en pensent les grands prêtres de la gauche. Une très malheureuse question tendancieuse au débat en anglais a redonné du tonus au Bloc québécois. Les néo-démocrates ont mené une campagne positive – comme de jeunes adultes à Osheaga, ils s’amusent, sont insouciants et veulent que la fête continue ! M. Trudeau, quant à lui, devait défendre un bilan imparfait et un style qui dérange beaucoup d’électeurs.

Ces élections auront servi les Canadiens – même s’ils se retrouvent encore devant un Parlement minoritaire. Ce n’est pas le résultat qui cautionne l’exercice – mais plutôt la chance pour les électeurs de s’exprimer sur des enjeux fondamentaux, dont la gestion de la pandémie. Ils devraient s’en réjouir – ce droit est très précieux.

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