Mine de rien, ce sera la onzième élection fédérale (en incluant la partielle de 1990 qui permit à Gilles Duceppe de se faire élire la toute première fois) à laquelle participera le Bloc québécois. Même si le thermomètre de la « nation-qui-se-fait-humilier » a sensiblement baissé depuis plusieurs élections, le Bloc québécois réussit toujours à trouver un chemin vers la question identitaire.

Yves-François Blanchet, habile orateur, réserve habituellement ses meilleurs vers et ses plus beaux effets de toge pour ce sujet – qu’il interprète de façon très large. Ce n’est pas seulement la langue, mais aussi les arts, l’égalité entre les hommes et les femmes et l’environnement qui distinguent selon lui l’habitant de Kamouraska de celui de Kamloops. La bourde de la modératrice sur ce thème lors du débat en anglais jeudi risque d’ailleurs d’aider M. Blanchet en clôture de campagne.

Parcourir le programme électoral du Bloc n’est pas un exercice désagréable. Succinct – il compte près de 100 pages de moins que celui des conservateurs –, il se penche sur des préoccupations que je qualifierais de « rassembleuses » – notamment le sort des aînés, la pénurie de main-d’œuvre, la saine alimentation et la solidarité avec les personnes malades. Très souvent, ces enjeux sont présentés sous l’angle de la spécificité québécoise. On incite le lecteur à conclure que l’expérience Made in Quebec permettra un meilleur dénouement.

Le programme contient aussi de nombreux clins d’œil à la Coalition avenir Québec. Qu’il soit question d’achat local ou du fleuve Saint-Laurent, le parti de M. Blanchet reprend des éléments de politique avancés par le premier ministre François Legault.

Cette proximité à sens unique du Bloc québécois avec le gouvernement du Québec le pousse vers des choix ambigus. Alors que son programme martèle l’importance de la lutte contre les changements climatiques et la transition écologique, M. Blanchet se fait l’avocat du troisième lien à Québec.

M. Blanchet a l’épiderme très fragile lorsqu’on rappelle son passage au ministère de l’Environnement dans le gouvernement de Pauline Marois. La liste de ses différends avec les environnementalistes était longue – ces derniers pourraient même soupçonner que s’il occupait toujours le poste et que des gisements de pétrole existaient au centre-ville de Montréal, ce n’est pas un tunnel pour le REM de l’Est dont il serait question.

Né sur les récifs de l’accord du lac Meech il y a plus de 30 ans, le Bloc québécois a coalisé sous son chapiteau tous les Québécois déçus et mécontents des négociations constitutionnelles. À sa tête, le primus inter pares des tribuns de sa génération, Lucien Bouchard. Quand il dissertait sur la nation québécoise, M. Bouchard faisait passer l’auditoire d’un siècle à l’autre, de Lord Durham à Clyde Wells, en déclinant les outrages au fleurdelisé, certains réels, d’autres anticipés. De son passage à Ottawa comme chef du Bloc, on retiendra que le sujet de l’unité nationale a largement dominé.

Son successeur, M. Duceppe, a profité du climat post-référendaire et du scandale des commandites pour habilement disgracier le gouvernement fédéral au Québec. M. Duceppe n’avait pas le verbe de M. Bouchard, mais il pouvait être tout aussi convaincant. Mais avec les années, les affronts au Québec résonnant moins avec l’électorat, la métamorphose du Bloc québécois de mouvement à parti politique s’est lentement mais assurément opérée.

Un peu comme un courtier en immobilier qui veut s’interposer entre un vendeur et un acheteur qui se connaissent déjà, M. Blanchet se présente souvent comme celui qui table les demandes du Québec à Ottawa. Il s’est approprié le rôle de porte-étendard, un service FedEx personnalisé, alors que la réalité est bien honnêtement tout autre.

J’étais ministre québécois dans un gouvernement minoritaire à Ottawa et, sans vouloir offenser M. Duceppe pour lequel j’ai beaucoup d’estime, la liste d’épicerie de Québec ne passait pas par le Bloc. Elle passait directement par le gouvernement de Jean Charest.

Je m’incline devant un jeune parti politique qui réussit à faire élire des dizaines de députés au Québec comme l’a fait le Bloc en 2019 (et plusieurs fois d’ailleurs depuis 30 ans). Le Parti conservateur n’a pas atteint ce plateau depuis l’élection de 1988. Mais le sophisme du cordon ombilical entre Ottawa et Québec ne tient pas la route, non plus l’obsession d’analyser tous les enjeux que par le prisme du Québec.

Bien que ce soit difficile à admettre pour M. Blanchet, les députés du Bloc n’ont pas plus de pouvoir que les autres députés québécois. En fait, parmi ces autres députés québécois se trouvent plusieurs ministres qui, le Bloc n’aime jamais l’entendre, peuvent exercer beaucoup d’influence. Les Québécois sont libres de voter pour les candidats de leur choix – si ceux du Bloc paraissent plus compétents, ils méritent leur appui. Mais ce serait une erreur de croire qu’ils joueront un rôle prépondérant dans l’aboutissement des demandes du Québec.

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