« C’est quoi le problème avec un gouvernement minoritaire ? » : voici grosso modo la question que ma mère, comme tant d’autres, se posait alors que Justin Trudeau marchait vers la résidence de la gouverneure générale pour demander la convocation de nouvelles élections générales. C’est d’ailleurs une question pour laquelle le premier ministre sortant n’a toujours pas trouvé de réponse satisfaisante. L’opposition n’a évidemment pas manqué de le souligner.

Le système électoral et ses « anomalies »

Depuis l’avènement du Canada comme entité fédérale moderne, en 1867, les citoyens ont exercé leur devoir démocratique lors de 43 élections générales. À l’issue du scrutin de 2019, le 14gouvernement minoritaire de l’histoire canadienne était formé. Or, sur les six plus récents gouvernements à Ottawa, quatre ont été minoritaires. Ce qui, en principe, est une « anomalie » du système électoral canadien devient donc de plus en plus courant.

Je dis « anomalie », car le système unilatéral à un tour (le SMUT, pour les intimes) engendre typiquement une distorsion importante entre le nombre absolu de votes que les partis politiques reçoivent et la manière dont cela se traduit concrètement en termes de sièges au Parlement.

Une élection fédérale, en fait, consiste en 338 mini-élections simultanées : la seule unité politique qui compte effectivement est la circonscription électorale. Et pour remporter un siège, un candidat doit uniquement obtenir la pluralité des voix exprimées dans sa circonscription, et non pas la majorité d’entre elles.

Ainsi, à l’issue d’une lutte à trois, si le premier candidat obtient 34 % des bulletins de vote, et les deux autres chacun 33 %, l’entièreté du poids démocratique de cette circonscription revient au premier. C’est ce qui explique que les partis politiques qui bénéficient d’un soutien plutôt diffus à travers le pays sont nettement désavantagés face à ceux qui jouissent de bastions régionaux forts. Lorsqu’on applique cette logique à toute la carte électorale, c’est ce qui fait qu’on peut former un gouvernement majoritaire en obtenant moins de 40 % des bulletins de vote à travers le pays.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le système fut conçu de cette manière : il facilite la formation de gouvernements majoritaires, ce qui assure, en principe, une plus grande stabilité politique.

Gouvernements minoritaires et « (in)stabilité » politique

Mais les Canadiens auraient tort de croire que la seule manière de favoriser la stabilité politique passe par l’élection de gouvernements majoritaires. Les exemples s’accumulent à travers le monde : des coalitions gouvernementales permettent aussi d’y arriver. Pourquoi, donc, les partis politiques fédéraux ne forment-ils pas des coalitions ?

De manière un peu cynique, c’est simplement parce que c’est étranger à notre culture politique et que notre mode de scrutin ne favorise pas une grande diversité partisane au Parlement. À moyen terme, il apparaît plus payant pour le parti qui obtient la pluralité des sièges (mais pas la majorité) de gouverner pendant environ 18 mois, et ensuite de provoquer (d’une manière ou d’une autre) des élections dans le but de faire des gains pour enfin avoir « les deux mains sur le volant » pour un mandat complet. Évidemment, ça ne marche pas toujours.

Il reste que, comme ma mère, plusieurs se demandent il est où, ce problème avec la gouverne minoritaire ? Concrètement, à défaut de formaliser de vraies coalitions, les gouvernements minoritaires impliquent de bricoler des compromis avec un ou plusieurs partis de l’opposition pour que les projets de loi soient adoptés en chambre par une majorité d’élus, sans quoi l’exécutif risque de perdre la confiance du Parlement et de devoir démissionner.

Cette pratique n’est-elle pas plus démocratique, en ce sens où elle implique une plus grande concertation et coopération entre les divers élus, qui représentent différentes couleurs politiques ?

En un sens, elle l’est. C’est pourquoi beaucoup – dont Justin Trudeau pré-2016 – sont en faveur d’une réforme du système électoral vers un modèle davantage proportionnel, lequel minimiserait la distorsion ci-mentionnée en plus de formaliser la pratique des gouvernements de coalition. Mais cela ne réglerait pas tous les problèmes.

Premièrement, malgré les limites du système actuel, lorsqu’un gouvernement majoritaire est à la table décisionnelle, il détient toutes les cartes du jeu pour mettre en œuvre son programme. Si les citoyens sont insatisfaits de la gouverne, ils savent qui punir lors des élections.

Deuxièmement, un système proportionnel et des gouvernements de coalition ne favoriseraient pas nécessairement une plus grande représentation des préférences idéologiques minoritaires (et plus radicales). Par définition, la coalition est un compromis, et les probabilités sont que ce compromis loge quelque part au centre du spectre idéologique.

Le mal imaginaire

Il reste que, dans le système actuel, un gouvernement minoritaire peut très bien fonctionner, comme en témoigne l’expérience des 20 derniers mois.

Le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau aurait pu tenir encore de nombreux mois. Mais soyons clairs : malgré les critiques qu’il formule aujourd’hui aux libéraux, Erin O’Toole aurait agi de la même manière. Le mal du gouvernement minoritaire est ici essentiellement imaginaire, et n’est qu’un prétexte pour obtenir une majorité permettant d’avoir les coudées franches et de ne pas devoir négocier avec l’opposition. C’est aussi une sorte de refus du parlementarisme. Ainsi va le jeu démocratique canadien.

Ce qui est bien réel, cependant, ce sont les quelque 600 millions que coûtent les présentes élections fédérales aux deniers publics et l’éventuelle hausse des cas de COVID-19… On s’en reparle dans 18 mois ?

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