Outre le caractère éminemment horrible de l’attentat terroriste revendiqué par Daech qui a fait des dizaines de morts et de blessés à l’aéroport de Kaboul, cette situation permet de mettre la lumière sur toute la complexité de l’avenir de la gouvernance qui se dessine en Afghanistan et les défis qui attendent les talibans.

En l’espace d’à peine un mois, ces derniers sont passés du statut de prédateur à celui de proie. Leur victoire éclair sur les troupes gouvernementales risque d’être vite oubliée à la lumière de ce que les prochains mois et années leur réservent, dans la mesure où différents groupes s’activent déjà à évincer les talibans du pouvoir. À cet égard, il semblerait que l’opposition la plus importante à leur pouvoir soit Daech (acronyme arabe du groupe État islamique).

Les talibans ne représentent aujourd’hui en Afghanistan qu’une simple faction parmi tant d’autres, et qui est déjà en conflit avec des groupes qui ont aussitôt fait le choix de les combattre activement.

D’une part, alors que les liens passés – mais toujours actifs – entre les talibans et Al-Qaïda pourraient nous laisser croire une étroite synergie entre eux et Daech, force est d’admettre que la situation est tout autre.

Peu après la création d’un califat en Syrie et en Irak en 2014, plusieurs talibans ont fait le choix de créer l’État islamique Province du Khorasan (ISKP), qui regroupe les territoires afghan, pakistanais, iranien et de l’Asie centrale, ce qui a entraîné une scission au sein de la mouvance talibane entre ces deux groupes qui réclament aujourd’hui avoir le monopole du djihad. Les négociations qui eurent lieu à Doha entre les talibans et les autorités américaines – et qui ont résulté en un accord en février 2020 – n’ont fait qu’accentuer cette opposition alors que l’ISKP a accusé les talibans d’avoir renié la cause en faisant le choix de discuter avec « le grand Satan ».

Cette vision stratégique aux antipodes explique pourquoi les talibans ont non seulement fait le choix de laisser les Occidentaux, avec les Américains à leur tête, évacuer en toute quiétude leurs ressortissants du pays, mais ont également activement collaboré à sécuriser la route entre la zone verte de Kaboul et l’aéroport Hamid-Karzai dans les jours qui ont suivi la chute de la ville. À l’inverse, en faisant le choix de s’attaquer aux civils qui cherchaient refuge à l’aéroport ainsi qu’aux soldats américains, l’ISKP est demeuré fidèle à sa stratégie exempte de compromis et qui repose sur une vision manichéenne du monde.

Pareille dynamique ne laisse rien présager de bon dans l’avenir, dans la mesure où ces deux groupes demeureront en conflit ouvert dans le but de conserver le contrôle du pays ou de l’accaparer.

De crainte de voir l’extrémisme déborder des frontières afghanes, voilà pourquoi la Russie et la Chine ont fait le choix – logique dans les circonstances – de soutenir et de reconnaître les talibans, puisqu’entre deux maux, il est toujours préférable de choisir le moindre.

Situés aux portes de ce point chaud, il est d’une importance capitale pour ces pays de renforcer le plus rapidement possible le pouvoir des talibans, de crainte qu’une absence de gouvernance effective n’en vienne à créer un vacuum politique comme celui qui a suivi la chute de Saddam Hussein et qui a permis l’émergence de Daech dans la région.

À terme, cela pose également la question de ce que devrait être l’attitude de l’Occident si l’ISKP en venait à mettre à mal la gouvernance talibane, voire à menacer de prendre le contrôle du pays. Dans la perspective où il est primordial d’empêcher à tout prix qu’un groupe terroriste n’en vienne à contrôler un territoire qui lui permet d’opérer et d’organiser des attentats en toute quiétude (il est à noter que le gouvernement américain ne reconnaît pas les talibans comme une organisation terroriste), serons-nous appelés à offrir une aide stratégique aux talibans ? Si nous devions faire le choix d’intervenir, comment devrons-nous lutter militairement contre cette menace, alors qu’il est devenu évident qu’une intervention armée de grande envergure en Afghanistan est vouée à l’échec ?

Voilà des questions troublantes que nous devrons peut-être nous poser plus rapidement qu’on ne le pense, puisque notre ennemi d’hier pourrait bien se révéler être un allié dans la lutte contre le terrorisme transnational contre lequel nous nous battons depuis ce matin tragique du 11 septembre 2001.

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