Le jour où Kamala Harris est devenue vice-présidente, je me suis demandé si je devais me réjouir. Lorsqu’on soulignait l’importance de sa nomination en l’érigeant comme symbole du rêve américain, un malaise m’envahissait.

Malaise causé par le fait qu'il soit toujours considéré comme une exception qu’une femme noire et asiatique devienne vice-présidente. C’est troublant ! Ainsi, on biffe de l’histoire les femmes noires qui ont exercé du leadership tant dans leur communauté qu’au sein des mouvements émancipatoires.

Et nous y voilà. Depuis quelques semaines, les attaques fusent. Selon un article de Politico, 22 attachés politiques de la vice-présidente et des responsables de l’administration ont décrit un cabinet toxique et une cheffe de cabinet problématique : Tina Flournoy, une femme noire.

Un peu plus de six mois après l’entrée en fonction de Kamala Harris, certains de ses employés ont déclaré qu’ils songeaient à démissionner alors que d’autres ont quitté leur poste. La porte-parole de Harris réfute les plaintes anonymes : « Les gens sont lâches de faire ça de cette façon. »

Selon certains employés, c’est à la suite de la gestion chaotique du voyage de la vice-présidente à la frontière du Mexique que le moral des troupes chuta et que les problèmes de communication s’accumulèrent.

Selon ses accusateurs, Tina Flournoy aurait créé un environnement toxique dans lequel les idées des employés sont ignorées et où certains « sont jetés sous l’autobus ». La vice-présidente en serait l’ultime responsable.

Selon Politico, ceux qui appuient la vice-présidente et sa cheffe de cabinet soutiennent « que les femmes au pouvoir, les femmes noires en particulier, sont soumises à des normes que les hommes n’ont pas à respecter : un environnement de bureau dur et exigeant peut être considéré comme une vertu pour l’un et un signe de désordre et de manque de sens du leadership pour l’autre ».

La loi du deux poids, deux mesures

La démocrate de longue date Leah Daughtry citée par Politico : « Regardez, [Tina] est forte, elle est intelligente, elle est motivée et elle s’attend à ce que des gens forts, intelligents et motivés l’entourent. Certaines personnes peuvent trouver intimidantes les femmes fortes, motivées et intelligentes, mais je pense que c’est plus une projection que la réalité parce que ce n’est tout simplement pas l’intention ou le style de Tina. »

Au moment de cette nomination, je me suis également demandé ce que je dirais à la vice-présidente si, par miracle, je la croisais. Comme avocate noire sur le territoire nord-américain, j’échangerais sur nos expériences communes.

Bien qu’elle ait brisé le plafond de verre (blindé pour les femmes noires), la route sera jonchée d’embûches dont elle ne peut même pas soupçonner l’existence.

Je lui conseillerais de vérifier si le plancher est impeccable avant de poser son pied au sol. Précaution capitale.

Je suis persuadée qu’elle conviendrait avec moi que pour nous, femmes noires, les obstacles sont omniprésents. Nous conclurions que, pour les femmes noires vivant dans des sociétés où le racisme et le sexisme ont toujours droit de cité, l’exercice du pouvoir, au-delà du symbolisme, est un exercice périlleux, non seulement pour leur intégrité, mais aussi pour les effets imprévisibles sur les autres personnes noires.

Et que si ces femmes ne peuvent moralement pas jouer les figurantes, les faire-valoir ou, pour le dire plus crûment, les token black women, la représentation devient alors un piège. Car, lorsqu’une femme noire occupe des positions de pouvoir, elle s’investit pour changer les systèmes pour les rendre inclusifs et équitables pour ceux et celles qui ont été historiquement laissés pour compte, systèmes qu’elle défie par sa seule présence.

Nous conviendrons que dans les cercles de pouvoir, les femmes racisées sont considérées comme des intruses, des outsiders, leurs moindres gestes sont scrutés à la loupe.

Et que si ces femmes dénoncent les expériences de racisme et de sexisme, par un curieux renversement des choses, ce sont elles qui deviennent le problème. Après avoir vécu toutes sortes d’agressions, elles se voient poussées à démissionner ou elles sont congédiées.

Je ne peux que penser à Annamie Paul, chef du Parti vert, qui selon le journaliste Michael Taube a été la dirigeante qui a subi le plus grand nombre d’attaques et le plus de dénigrement de la part de son propre parti.

Comme première leader noire et juive, elle a été menacée à plusieurs reprises d’un vote de défiance, à la suite de la position qu’elle a prise sur le Moyen-Orient. Mme Paul souligne que « cette expérience a été incroyablement douloureuse pour [elle] et pour [sa] famille ».

On est donc en droit de s’interroger : est-ce que pour exercer le pouvoir, ces femmes racisées, traditionnellement exclues des postes de pouvoir, doivent supporter des comportements aussi brutaux, avilissants, voire déshonorants ?

Bref, si je croisais Kamala Harris dans la rue, je lui souhaiterais énormément de résilience et de courage. Elle en aura besoin

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