En sortant de sa visite avec la gouverneure générale pour déclencher les élections, Justin Trudeau s’est d’abord exprimé sur la situation en Afghanistan. Les talibans contrôlaient maintenant le pays, le président Ashraf Ghani avait pris la poudre d’escampette et une panique généralisée régnait sur Kaboul. M. Trudeau a souligné que le Canada allait déployer tous les efforts nécessaires pour rapatrier ses ressortissants ainsi que les Afghans à qui il avait promis un sauf-conduit pour services rendus.

Habitué à servir un discours souvent trop solennel, M. Trudeau avait cette fois le ton juste. Comme nous, il s’inquiétait particulièrement du sort réservé aux femmes. Et il pouvait difficilement cacher son étonnement face à la rapidité avec laquelle les forces talibanes avaient renversé le gouvernement. Dans un élan de sincérité, il aurait aussi pu exprimer sa déception que les Américains n’aient pas jugé nécessaire de faire connaître en amont les détails de leur plan de retrait de l’Afghanistan.

Le Canada a été un allié indéfectible des Américains dans l’aventure afghane. Nos troupes accompagnaient les États-Unis lorsque George W. Bush a décidé que la traque aux responsables des attentats du 11 septembre 2001 passerait par l’Afghanistan. Ce geste de solidarité – et les dépouilles de près de 160 soldats canadiens – aurait dû assurer au Canada un préavis quant aux intentions américaines.

Les Britanniques sont aussi froissés de l’approche du président Biden. L’Angleterre romantique de Winston Churchill qui croyait à des rapports privilégiés avec Washington a connu un réveil brutal. Le premier ministre Boris Johnson a subi les réprimandes de parlementaires rappelés à Westminster pour débattre de la crise en Afghanistan. N’eussent été les élections, M. Trudeau aurait aussi eu à affronter un Parlement hostile à Ottawa.

Ce silence est d’autant plus inquiétant qu’il survient alors que nous assistons à un manque de cohésion étonnant quant au traitement des frontières terrestres canado-américaines. Comment expliquer que nous n’arrivions pas à en coordonner l’ouverture simultanée ?

Il est difficile de croire que des motifs sanitaires pèsent sur la décision américaine – notre taux de vaccination dépasse largement celui des États-Unis. Ce problème de logistique pourrait se régler aisément lors d’un appel entre MM. Trudeau et Biden. Et pourtant, ce n’est pas le cas.

La requête d’extradition visant Meng Wanzhou, la responsable des opérations financières de Huawei, nous rappelle que le Canada a fait un geste courageux en procédant à son arrestation à la demande de Donald Trump. On me citera – avec raison – la règle de droit et les traités d’extradition signés avec les États-Unis. Mais l’arrestation grossière de deux Canadiens en Chine démontre que nous avons eu tort de croire que les conséquences se limiteraient à nos rapports commerciaux. Juste avant de prendre la cause en délibéré au début du mois d’août, la juge a dit ne pas bien comprendre les accusations portées contre Mme Meng. S’il fallait que la requête soit rejetée, il s’écrira au moins trois livres sur la façon dont ce gâchis aurait pu être évité.

L’horreur des dernières semaines en Afghanistan cache une autre problématique pour M. Trudeau. Au-delà des inquiétudes concernant le sort réservé aux Canadiens toujours en attente d’une sortie, l’absence de symbiose avec l’administration américaine surprend. M. Trudeau a connu ses meilleurs rapports avec les États-Unis au tout début de son mandat, en 2015. Le pinacle fut sans contredit ce dîner d’État à la Maison-Blanche en mars 2016 durant lequel le président Obama chantait ses louanges. Quelques mois plus tard, M. Trump battait Hillary Clinton et la descente aux enfers de M. Trudeau s’amorçait. Pendant que son pote Obama écrivait ses mémoires, M. Trudeau tentait de maîtriser la bête Trump.

Mais l’arrivée de Joe Biden ne devait-elle pas permettre au Canada de retrouver son statut privilégié à Washington ? Connu et aimé des libéraux, ne partageait-il pas les mêmes idéaux ?

Après huit mois de régime Biden et au mieux quelques appels téléphoniques de courtoisie, difficile de ne pas s’inquiéter. Il serait facile de prétendre que M. Biden est dépassé par les évènements (l’adoption d’un plan financier, la pandémie) et que les intérêts canadiens redeviendront prioritaires. Mais si le problème était de ce côté du 49e parallèle ?

Le siège de premier ministre du Canada vient avec certains incontournables : le pays est vaste, bilingue, adore le hockey et connaît quatre saisons. Il est aussi voisin de la première puissance économique et militaire au monde, qu’il compte parmi ses plus importants clients exportateurs. Avoir des rapports étroits avec celui-ci est non seulement souhaitable, mais hautement nécessaire. M. Trudeau doit énormément s’ennuyer de M. Obama – pendant ce temps, les Canadiens s’ennuient de l’époque où leur premier ministre avait un peu d’influence sur Washington.

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