Après plusieurs semaines de spéculation, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a récemment annoncé qu’elle allait créer une escouade permanente, vouée aux gangs de rue.

Le SPVM a introduit sa première escouade de la sorte en 1989 et elle y a alloué des ressources jusqu’en 2016. Lors de cette année-là, les quatre escouades régionales ont été fusionnées en des unités anticriminalité plus générales. L’escouade antigang prévue est donc un retour vers le passé, avec tous les problèmes que les communautés et les chercheurs ont déjà ciblés avec cette vieille approche.

Si le SPVM a fait quelques allusions à la réintroduction de l’escouade antigang le mercredi 11 août dans une conférence de presse, les premiers véritables détails ont été connus lors d’une entrevue au 98,5 FM le 13 août. Lors de cette entrevue, l’inspecteur et porte-parole du SPVM David Shane a révélé que les opérations contre le crime impliquant des armes à feu seraient réorganisées en septembre. Les opérations en cours pour lutter contre le trafic d’armes à feu seront placées sous la responsabilité de la police provinciale, la Sûreté du Québec. Les ressources du SPVM libérées dans ce remaniement seraient alors utilisées pour créer une équipe « permanente » destinée à « mettre le maximum de pression sur les gangs criminels ».

Se concentrer sur les gangs de rue est une approche qui comporte plusieurs problèmes. L’histoire nous démontre, par exemple, que la police éprouve énormément de difficulté à différencier, d’une part, de véritables membres de gangs de rue et, d’autre part, des jeunes hommes noirs en général.

Lorsque le SPVM a introduit une nouvelle escouade antigang à Montréal-Nord et à Saint-Michel en 2006, les interpellations des Montréalais noirs dans ces quartiers ont augmenté vertigineusement de 240 %. Lorsque la lutte contre les gangs battait son plein (2006-2008), les données indiquent qu’environ 40 % des jeunes hommes noirs dans ces deux quartiers avaient été interpellés par la police. Il a éventuellement été révélé que la police conservait une liste d’individus présumés membres de gangs, avec plus de 10 000 noms – un nombre absurde qui témoigne de l’ampleur de la surveillance policière des jeunes hommes noirs. Veut-on vraiment mettre « le maximum de pression » sur une cible comme ça ?

Se concentrer sur les gangs de rue, c’est aussi distraire des autres groupes et individus qui sont impliqués de manière plus importante dans la violence armée. L’Escouade Quiétude, où le SPVM concentre présentement ses efforts contre les armes à feu, démontre clairement ce problème. Mes recherches démontrent que cette unité cible les Montréalais noirs de manière disproportionnée (75 % des accusations). Cependant, la proportion des individus noirs qui sont inculpés d’un crime impliquant une arme à feu (29 %) est beaucoup plus basse que la proportion des individus blancs (40 %). Étant donné l’association populaire entre les gangs et les hommes noirs, la création d’une escouade antigang va concentrer l’attention sur les personnes noires, peu importe leur rapport aux armes à feu, et, en même temps, retirer l’attention des individus et groupes blancs qui trafiquent et qui utilisent des armes à feu. Si l’objectif est de mettre un terme à la violence armée, mieux vaut se concentrer sur ça – peu importe l’origine de la personne ou son appartenance à un gang.

Plus important, se concentrer sur les gangs oriente les fonds publics vers la répression policière, alors que les initiatives communautaires sont beaucoup plus efficaces dans la prévention de la violence.

L’escouade du SPVM qui est dévouée spécifiquement au trafic d’armes à feu, ELTA, est destinée à compter 40 policiers. Si la Sûreté du Québec devient responsable de ces efforts et que des ressources du SPVM sont redéployées afin de cibler des gangs de rue, on peut prévoir 40 policiers et environ 4 millions de dollars par année uniquement pour les salaires. Si l’autre escouade d’armes à feu du SPVM, Quiétude, devait être intégrée à l’escouade antigang, on peut ajouter encore 20 policiers et 2 millions en coûts annuels.

Nul besoin de spéculer sur ce que feraient des organisations communautaires si elles avaient de telles sommes d’argent. Une coalition des intervenants noirs, nommée Coalition Pozé, tenait une conférence de presse le 14 août à Rivière-des-Prairies. Le groupe critiquait l’utilisation démesurée de la police comme réponse aux fusillades et revendiquait que plus d’attention soit portée aux conditions sociales qui mènent à la violence. « Il faut arrêter de traiter les symptômes comme la réalité », expliquait Pierreson Vaval, directeur d’Équipe RDP et membre de la coalition. Malheureusement, les programmes communautaires de prévention de la violence sont massivement sous-financés à Montréal. À Montréal-Nord, il y a seulement 2,5 travailleurs de rue, quand les groupes communautaires disent qu’il en faudrait au minimum 12 pour répondre aux besoins. Dans Rivière-des-Prairies, il y en a deux (à temps partiel) et il en faudrait huit.

Alors que les ressources permettant d’exercer une pression policière sur les jeunes que l’on racise sont toujours disponibles, et augmentent chaque année, les ressources permettant de les élever et de créer un espace pour eux dans la ville font toujours défaut.

Personne ne peut douter que la violence armée est un problème, même si sa prévalence est aujourd’hui exagérée par la police et les médias. La question est de savoir comment y répondre adéquatement. Les efforts déployés dans le passé ont démontré que se concentrer sur les gangs de rue augmente massivement le profilage racial, tout en distrayant des autres acteurs souvent plus impliqués dans le trafic et l’utilisation des armes. Des décennies de recherche soulignent l’efficacité de la prévention communautaire de la violence. Réintroduire l’escouade antigang est une erreur et une insulte à tous ceux qui ont rejoint ou soutenu les manifestations Black Lives Matter depuis un an.

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