Trois partis politiques peuvent légitimement prétendre avoir une chance de former le prochain gouvernement fédéral : le Parti libéral, le Parti conservateur et, dans une moindre mesure, le Nouveau Parti démocratique. À la lumière de ce qu’ils proposent aux Canadiens dans leurs programmes électoraux, le système fédéral pourrait évoluer de différentes manières à court et à moyen termes.

Dans un système fédéral, l’État est typiquement considéré comme un « pacte » ou « contrat » entre partenaires égaux en statut (l’un des déficits fédératifs majeurs au Canada est notamment de n’avoir jamais véritablement considéré les peuples autochtones ainsi). Le système est alors formé d’au moins deux « ordres » de gouvernement, conçus comme distincts et non subordonnés l’un à l’autre. C’est pourquoi on ne doit pas parler de « paliers » ou de « niveaux », ce qui implique plutôt une norme hiérarchique entre le fédéral (alors vu comme le gouvernement senior) et le provincial (le gouvernement junior).

Ainsi, les provinces et le fédéral, qui se partagent les compétences constitutionnelles de l’État canadien, sont dits « souverains » dans leurs champs de compétence respectifs. Sur certains enjeux, comme l’immigration ou l’environnement, ils sont aussi appelés à coopérer (par exemple, par les relations intergouvernementales). En principe, on ne peut changer la nature de ce pacte sans obtenir le consentement préalable des parties prenantes. En pratique, par contre, il en va parfois autrement : c’est ce qui s’est passé au Canada, il y a à peu près 40 ans jour pour jour… Mais on s’égare : revenons à la campagne électorale !

Dynamiques (dé)centralisatrices

À lire le programme électoral du NPD, on est frappé par l’idée que la formation semble parfois confondre la logique fédérale avec celle d’un État-nation unitaire très interventionniste et très centralisé. Exit le respect du partage des compétences, les néo-démocrates veulent « oser mieux » là où ils jugent que les gouvernements provinciaux « juniors » errent.

Parlant d’errance : l’époque de la Déclaration de Sherbrooke (2005) du parti de Jack Layton, alors sensible aux revendications historiques et asymétriques du Québec, semble décidément révolue. On est devant une vision à la fois très progressiste, mais aussi très centralisatrice de la démocratie canadienne.

Pour ce qui est des libéraux de Justin Trudeau, depuis 2019, on semble préconiser certaines ententes de nature asymétriques et inconditionnelles avec les provinces, et ce, dans le sillage des ententes préélectorales avec le Québec, le Manitoba et l’Île-du-Prince-Édouard dans le domaine des services de garde d’enfants.

Ici, l’orbite de la planète libérale a connu une révolution totale entre l’ère de Trudeau père et celle de Trudeau fils.

Mais l’observateur attentif et un peu cynique remarquera que ce changement d’attitude avec les provinces se manifeste alors que Trudeau fils dirigeait un gouvernement minoritaire en quête d’une majorité. La « bromance » Trudeau-Legault pourrait rapidement tourner au vinaigre (pensons à la Loi sur la laïcité ou au projet de loi 96) si les libéraux ne devaient plus obligatoirement composer avec le soutien de l’opposition, dont le Bloc québécois, et s’il ne cherchait pas à faire des gains électoraux dans la Belle Province.

Enfin, « l’homme avec un plan », qui pose à la manière des célébrités américaines sur la couverture du programme conservateur, entend quant à lui employer la grammaire de la décentralisation. Pour O’Toole, dans la lignée du fédéralisme d’ouverture de Stephen Harper, il appartient aux provinces elles-mêmes de prendre les bonnes ou les mauvaises décisions pour les enjeux qui tombent dans leur champ de compétences.

À cet égard, il y en a, au Québec, mais aussi ailleurs au Canada, qui préfèrent être gouvernés par un Parti conservateur, peut-être moins proche de leurs positions sociales, mais qui respecte l’autonomie des provinces. Et ce, même si un gouvernement libéral serait plus en phase avec leurs valeurs progressistes, car, comme le NPD d’aujourd’hui, ce dernier a aussi souvent confondu la fédération canadienne avec un État unitaire. La formule est bien connue : en évoquant notamment son « pouvoir de dépenser », Ottawa aime bien attacher des conditions aux transferts fédéraux, faisant ainsi indirectement ce qu’il ne peut pas faire directement en raison du partage des compétences constitutionnelles.

Ce que veulent les Canadiens

D’une province à l’autre, l’électorat est parfois pro-centralisation, ailleurs friand d’autonomie provinciale. Sur une foule d’enjeux, les Québécois et les habitants des provinces des Prairies se rejoignent sur la seconde option ; ce qui explique en partie les efforts que les conservateurs vont déployer dans ces provinces. Mais les électeurs ne sont pas des constitutionnalistes : beaucoup font peu de cas du gouvernement (fédéral ou provincial) qui mettra en œuvre une politique, tant qu’ils y sont favorables.

Or, si la pandémie nous permet de dresser un constat fort, c’est que l’amaigrissement forcé de l’État-providence partout au Canada, au cours des trois dernières décennies, a creusé les inégalités socioéconomiques.

« Ça va bien aller » voulait très certainement dire une chose bien différente, souvent, en fonction du code postal d’un individu ou d’une famille.

Après avoir constaté une fois de plus les faillites du système à traiter tous les Canadiens équitablement, le pari des conservateurs de vouloir simplement en redonner plus dans les poches des individus est très risqué. À court terme, ça peut être très bien d’avoir plus d’argent liquide. Mais certains rappelleront que, dans le même temps, c’est la solidarité sociale institutionnelle qui s’évapore, celle qu’on devrait sans doute préserver et consolider.

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