Cela en a frappé plusieurs.

Immédiatement après sa rencontre dimanche avec la nouvelle gouverneure générale, Mary Simon, pour lui demander de déclencher des élections, le premier ministre Justin Trudeau a fait une déclaration élaborée – en anglais seulement – sur le dossier du jour, l’Afghanistan.

Était-ce un effet de son entretien avec Mme Simon, dont la seule chose dont on peut être sûre, c’est qu’elle se déroula exclusivement en anglais, la nouvelle gouverneure générale ne parlant pas le français ?

Héritage de Pierre Elliott Trudeau

On pensait avoir tout vu avec Julie Payette ! La nomination de la première gouverneure générale incapable de parler le français dans le Canada des temps modernes est pourtant une erreur de jugement beaucoup plus grande de la part du premier ministre. Pierre Elliott Trudeau, son père, a dû se retourner dans sa tombe devant ce reniement du cœur de son héritage politique : le bilinguisme institutionnel au Canada.

Cela n’a pas empêché plusieurs de trouver que ce n’était pas si grave tenant compte du caractère honorifique de la fonction joint à la nécessité de faire un geste de réconciliation fort en faveur des autochtones. Comble d’ironie, certains ont été jusqu’à souligner que Mme Simon n’était pas unilingue anglaise puisqu’elle parlait également sa langue maternelle autochtone.

On a fait semblant d’oublier que cette nomination était inacceptable à sa face même, la titulaire ne possédant pas une compétence de base pour la fonction, la maîtrise d’un français qu’elle avait eu amplement le temps d’apprendre au cours de sa longue carrière. Mais surtout, cela a mis les francophones dans une situation incroyablement malsaine.

Ou ils jouent les cocus contents ne voulant pas voir qu’on parle d’un symbole identitaire et politique fort, le chef d’État du Canada, la personne ayant le statut le plus élevé au pays. Ou ils passent pour des pisse-vinaigre insensibles au sort terrible des autochtones en ce pays s’ils osent rappeler que ce précédent aura forcément des suites néfastes pour le français.

Ce n’est pas la première fois que le système politique canadien met en opposition de façon vicieuse les autochtones et les Québécois.

Le rejet de l’accord du lac Meech, en 1990, avait été opportunément suivi de la crise d’Oka, à l’indignation unanime d’une opinion publique canadienne-anglaise s’apitoyant hypocritement sur le sort de ces « pauvres autochtones plus maltraités au Québec que dans le reste du pays ».

La décision de M. Trudeau est d’autant plus troublante qu’il lui aurait été possible de nommer une autochtone parlant le français. Mais à quoi a donc pensé le premier ministre ? Juste au moment où on se réjouissait des louables efforts de Mélanie Joly pour renouveler l’approche linguistique en matière fédérale, par des mesures fortes comme l’imposition du bilinguisme aux juges de la Cour suprême, dont on peut désormais douter qu’elle aura l’appui de M. Trudeau.

Mollesse des réactions

On a noté que le premier ministre François Legault n’a émis aucune protestation face à un tel rabaissement de la langue des Québécois.

Cela nous amène à ce qui laisse en définitive le plus pantois : la réaction incroyablement molle de bon nombre de faiseurs d’opinion faisant passer leur bien-pensance sans limites avant les intérêts les plus élémentaires du peuple québécois. Certains sont allés jusqu’à parler d’une nomination audacieuse et historique.

C’était au diapason de l’incapacité des mêmes faiseurs d’opinion, dans le drame des pensionnats autochtones, à rappeler la différence québécoise incontestable pour quiconque connaît un tant soit peu l’histoire du pays de même que sa réalité tout particulièrement démographique. Comme si tous les Canadiens devaient partager exactement la même culpabilité dans cette affaire et que le Québec ne constituait pas sous certains aspects en ce domaine une société distincte au sein du pays.

Pour ma part, je n’oublierai jamais mon choc, lors de mon premier voyage à Winnipeg, à la vue du grand ghetto autochtone jouxtant un centre-ville où on nous recommandait de ne pas nous aventurer. Car si la situation des autochtones est tragique partout au Canada, y compris au Québec, elle l’est davantage dans l’Ouest, où ils constituent un pourcentage nettement plus important de la population – 15 % en Saskatchewan, contre 1 % au Québec, le plus bas au pays.

Cela, on ne veut plus le voir. Comme le fait qu’au-delà de vieux traités souvent inapplicables, c’est au Québec qu’a été conclue la première entente moderne entre un gouvernement blanc et des autochtones : la convention de la Baie-James de Robert Bourassa dans les années 1970, complétée en 2002 par cette Paix des Braves dont Bernard Landry était si fier.

Rappelons donc que, de façon générale, les Québécois ont historiquement eu de meilleures relations avec les autochtones que les autres Canadiens et qu’ils n’avaient pas à faire les frais de la réconciliation avec les Premières Nations par la nomination d’un chef d’État ne parlant pas leur langue.

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