La pandémie a éclipsé plusieurs évènements. Notamment le centième anniversaire d’un symbole emblématique de l’Acadie : la statue d’Évangéline. Elle est la signature d’un site historique national qui, avec le paysage naturel et culturel de Grand-Pré, est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2012. 

Après des mois de confinement et de restrictions, je suis retourné à Grand-Pré cet été avec ma famille. Chaque fois, c’est plus qu’une visite que nous faisons : une sorte de pèlerinage. Pour les Acadiens, Grand-Pré est une terre sainte où tant d’éléments témoignent de l’histoire épique de notre peuple : l’église commémorative, les immenses saules pleureurs, les artéfacts des aboiteaux, le bassin des Mines. Comme le chante Angèle Arseneau, « Grand Pré, c’est là que tout a commencé, c’est là que nous avions rêvé. C’était un peu le paradis […] »

À Grand-Pré, la résilience acadienne est taillée dans le marbre et coulée dans le bronze. À l’intérieur de l’église Saint-Charles, la statue de Notre-Dame-de-l’Assomption a été sculptée dans du marbre de carrare par des artistes italiens et inspirée par l’œuvre L’Immaculée Conception de Murillo. Au milieu de listes des familles de déportés, la sainte patronne occupe l’espace central de l’église depuis 1923. Mais il y a une autre statue qui lui est antérieure.

PHOTO FOURNIE PAR L'AUTEUR

Statut d’Évangéline à Grand-Pré

La mythique statue d’Évangéline accueille les visiteurs à l’entrée des jardins du site commémoratif de la déportation. Son origine est une statuette en terre cuite créée au Québec en 1918 par Louis-Philippe Hébert. Ce dernier voulait donner un visage à l’héroïne du poème de Longfellow Évangéline – Un conte d’Acadie. C’est son fils Henri qui verra à faire couler dans le bronze cette statue de plus de deux mètres. Réalisée à Paris, elle arrive à Grand-Pré juste à temps pour les cérémonies entourant son dévoilement, le 29 juillet 1920.

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Beaucoup ont cherché à savoir ce qui avait pu motiver Hébert à donner à Évangéline des traits inquiets et mélancoliques. Pourquoi ce regard tourné vers l’arrière au moment de quitter les terres verdoyantes du bassin des Mines ? Pour revoir une dernière fois le village enflammé par les Anglais ? Pour évoquer la douleur de la séparation ? Pour « pleurer le pays perdu » ? (Henry Wadsworth Longfellow, A tale of Acadia, 1847)

Chacun a ses hypothèses. Selon moi, les traits et l’orientation du visage d’Évangéline sont un prototype du peuple acadien. Son regard tourné vers l’arrière n’est pas un refus de regarder droit devant, mais un désir de revoir le chemin parcouru par un peuple qui réussit, malgré les vicissitudes de l’histoire, à rester fidèle à son avenir. Se nourrir de l’histoire des devanciers peut devenir un point de départ pour prendre sa place dans le concert des nations.

Pour certains, le souvenir des évènements du passé contribue à rester dans un rôle de victime ou dans une certaine nostalgie. Je ne souscris pas à une telle crainte. Faire fi du passé, c’est croire que l’histoire commence avec nous. Ou prétendre qu’on peut se fonder soi-même.

Jeter un regard vers l’arrière est une démarche essentielle. Non pas pour se réfugier avec complaisance dans un passé révolu. Ni pour trouver un prétexte de se plaindre du présent. Plutôt pour s’abreuver au passé afin de trouver un nouvel élan. Comme une vague qui prend du recul pour venir déposer sur la grève ce qu’elle charrie du large et des eaux profondes, notre histoire dépose sur le rivage de nos vies un trésor inestimable de valeurs de courage et de bravoure. Comme les enfants qui, par un beau jour d’été, font le tri parmi les coquillages apportés par la mer sur la plage, les enfants d’Évangéline recueillent le trésor de leur histoire chaque 15 août.

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La mémoire collective a le pouvoir de motiver les engagements d’aujourd’hui. Ce que nos ancêtres ont fait hier, nous pouvons le faire aujourd’hui. Non pas faire la même chose. Plutôt faire des choses nouvelles, mais avec la même ardeur. La même espérance. Le même dynamisme. Parce que les combats ne sont pas terminés. Des droits linguistiques sont en péril. Les changements climatiques bouleversent notre environnement naturel. Le patrimoine bâti (nos phares, nos églises et nos quais) et immatériel est menacé.

L’Acadien qui foule la terre de ses ancêtres ne peut faire l’économie d’une réflexion sur son identité dans un monde globalisé. À Grand-Pré, j’ai saisi que le simple fait de vivre comme peuple provoque un « grand dérangement » autour de nous. Parce que vivre, c’est choisir. Or, les choix que nous faisons (et même ceux que nous refusons de faire) dérangent et interpellent les gens autour de nous. Même le choix de la neutralité dérange : c’est à cause de cela que nous avons été déportés.

Ce jour de fête me donne l’occasion de choisir de m’abreuver à mes racines pour monter le plus haut possible. Jamais seul, mais avec les autres. Avant même que le CIO ajoute la dimension collective à sa devise, les Acadiens avaient compris la pertinence d’avancer ensemble pour surmonter toute adversité. Cela est manifeste dans le choix du cri de ralliement choisi en 1884 à Miscouche et qui résonne encore aujourd’hui dans toute la diaspora : « L’union fait la force. » À mon Acadie que j’aime parce qu’elle me porte et me soutient. Aussi à ceux et à celles qui l’habitent, qui la chantent et l’écrivent, qui la font briller de mille feux : bonne fête nationale !

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