À Tokyo, l’équipe nationale féminine de soccer a réussi à changer la couleur de la médaille après Londres et Rio, un exploit salué d’un océan à l’autre. Derrière ce succès presque inespéré se cache le fait que les autres pays s’améliorent, ce qui rattrapera le programme canadien tôt ou tard.

Le Canada est le seul pays du top 10 au classement féminin de la FIFA à n’avoir ni ligue ni équipe professionnelle, ce qui a été largement ignoré par les médias francophones au pays. Il y a certes des ligues « semi-professionnelles » au Québec, en Ontario et bientôt en Colombie-Britannique, mais c’est tout.

Christine Sinclair et Stephanie Labbé, entre autres, l’ont souligné sur plusieurs tribunes : cette victoire est en dépit de l’absence d’une ligue professionnelle, et cette absence pourrait affecter les performances à long terme. Récemment retraitée, Diana Matheson s’est investie dans le dossier de la professionnalisation, d’ailleurs très important pour la Fédération internationale de football association (FIFA).

L’élite féminine canadienne s’exile normalement à l’étranger, dès les années universitaires. Les footballeuses de potentiel professionnel continuent souvent en National Women’s Soccer League (NWSL) aux États-Unis et de plus en plus, nos joueuses vont en Europe. Labbé, Leon, Lawrence, Huitema, Fleming, Beckie, Buchanan, Gilles et Rose jouent toutes outre-Atlantique, souvent en France ou en Angleterre.

Pourtant, il existe une limite de joueuses étrangères dans ces ligues : trois en France et quatre en NWSL, par exemple. Cette limite pourrait réduire, à long terme, la croissance du bassin de joueuses pouvant être sélectionnées en équipe nationale, alors qu’ailleurs, ce bassin augmente, propulsé par les ligues féminines.

Plusieurs affirment qu’un championnat national féminin intéresserait peu. C’est possible, mais il faut commencer quelque part. Le soccer professionnel féminin aux États-Unis et en Europe a démontré toute l’importance du « build it and they will come ».

Non seulement les experts en affaires du sport entrevoient un potentiel économique énorme pour le football féminin, mais les faits le démontrent. Les Thorns de Portland (NWSL) attirent en moyenne 20 000 personnes par match. La BBC et Sky Sports investiront plus de 17 millions de dollars canadiens par saison pour la diffusion des matchs de la Super League féminine anglaise. La plateforme DAZN diffusera dorénavant tous les matchs de la Ligue des Championnes d’Europe sur YouTube, ce qui est considéré comme un tournant pour le sport féminin international.

Au Canada, près de 4,5 millions de personnes ont regardé nos footballeuses remporter l’or (en anglais seulement). Il y a aussi eu plus de fans dans les gradins pour un match de l’équipe nationale féminine à Ottawa qu’un match de l’équipe masculine à Montréal.

Il y a 11 équipes professionnelles masculines au Canada, trois dans le championnat américain de la MLS (dont le CF Montréal) et huit dans la Première ligue canadienne, en place depuis 2019. Ces clubs ont été essentiels pour l’amélioration de la sélection nationale masculine, elle-même en meilleure position que jamais. Les fondations pour la mise sur pied d’une équipe ou d’une ligue féminine canadienne existent, mais il faut la volonté de Soccer Canada et des clubs existants, mais surtout celle d’investisseurs potentiels.

Nous espérons que cette médaille d’or arrêtera la tendance des jeunes filles à quitter le soccer (plus de 25 % ont arrêté de jouer dans les cinq dernières années), mais aussi qu’elle lancera l’élan vers la professionnalisation au Canada. Notre pays doit soutenir nos championnes et créer un système qui donnera de l’espoir à des centaines de jeunes filles, tout en augmentant les possibilités et le bassin de joueuses, ce qui aiderait grandement à maintenir les performances de notre équipe nationale féminine.

*Mathieu Boutin est enrôlé au programme de MBA exécutive en management du sport à l’Universidad Europea de Madrid

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