Jean René Junior Olivier, un homme noir de 38 ans, a été tué par la police le 1er août dernier, alors qu’il était en psychose liée à un trouble de santé mentale.

Oui, encore. Un décès qui, malheureusement, se classe presque dans les faits divers et banals de l’actualité, malgré son caractère tragique. Peut-être parce que l’histoire se répète à un point tel qu’on s’y désensibilise.

Cela dit, au lieu de reléguer cette tragédie aux oubliettes, il me semble important d’examiner en quoi ce drame s’inscrit dans un scénario particulièrement spectaculaire, en maintenant en suspens la question suivante : que faire avec une institution qui prouve qu’elle n’est ni apte, ni prête, ni motivée à honorer la fonction pour laquelle elle existe ?

D’abord, la trame narrative qui, vraiment, ne s’invente pas.

Il était une fois des corps policiers tuant année après année des personnes noires aux prises avec une crise de santé mentale. Dans l’histoire récente, au Québec seulement, on se souviendra de Nicholas Gibbs, Alain Magloire et Pierre Coriolan.

Dans la foulée des réflexions visant notamment la formation des policiers, la pertinence de leur armement et la nécessité d’interventions psychosociales plus adaptées en cas de crise, des changements immédiats s’opèrent-ils afin d’éviter les morts dans de telles circonstances ? Non.

Puis, survient le meurtre de George Floyd au printemps 2020. Un électrochoc à l’échelle mondiale qui invite la conscience collective à considérer que oui, la police tue les hommes noirs de façon disproportionnée. Les populations manifestent, les politiciens et entreprises formulent des engagements en faveur de la lutte contre le racisme. On sent poindre à l’horizon un minimum d’évolution. Peut-être que les corps policiers auront alors la compétence nécessaire pour cesser de tuer injustement les hommes noirs.

Mais non. Le 29 octobre 2020, quelques mois à peine après le vent d’espoir, la police de Montréal tue Sheffield Matthews, 41 ans, un autre homme noir aux prises avec des troubles de santé mentale. La police tourne en rond et continue, pendant ce temps, à enlever des vies.

Et si l’enjeu est répandu dans plusieurs régions de la province, du pays et de la planète, le Service de police de la Ville de Repentigny (SPVR) mérite une attention particulière. Parce que dans cette ville de seulement 86 000 habitants, les histoires de profilage racial et de brutalité policière pleuvent. Le fléau est d’une notoriété telle qu’au Bye bye 2020, lorsque des humoristes noirs se voient confier la responsabilité de réaliser des sketchs en regard de sujets qui les interpellent, ils choisissent spécifiquement d’aborder la question de profilage racial à Repentigny.

Les blagues qu’on retrouve dans ce sketch sont drôles justement parce qu’elles exposent avec une acuité désarmante comment la police de Repentigny associe automatiquement les personnes noires à la criminalité. L’affaire en est risible. Repentigny a réussi à faire une Hérouxville d’elle-même.

Loin de moi l’idée de minimiser la complexité des fonctions policières, mais il me semble que des mesures drastiques sont possibles lorsque des vies sont en jeu.

Au regard de ce qui précède, on aurait pu imaginer que le SPVR prenne acte de façon rapide et robuste des critiques formulées à son endroit. Qu’il sache qu’il existe des façons sécuritaires d’intervenir pour la désescalade des crises de santé mentale. Et tout simplement, qu’il fasse le nécessaire pour éviter que des personnes noires meurent par sa faute.

Eh bien non.

Dimanche dernier, Marie-Mireille Bence, résidante de Repentigny, a composé le 911 afin d’aider son fils Jean René Junior Olivier, qui était en crise. Six agents de police se sont présentés et ont tiré trois balles sur M. Olivier. « J’ai appelé pour de l’aide, et on a tué mon fils », a déclaré Mme Bence, qui affirme d’ailleurs que M. Olivier avait déposé le couteau de cuisine qu’il tenait entre ses mains avant que la police ne tire sur lui.

Tout cela est survenu un 1er août, Jour de l’émancipation célébrant l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques. Un jour durant lequel toute personne noire aurait dû être en droit de célébrer la dignité que méritent tous les humains.

Tout cela est survenu dans la circonscription de l’Assomption, celle du premier ministre François Legault, dont le gouvernement refuse de reconnaître l’existence du racisme systémique. Ce phénomène qui est à la source même d’un désastre comme celui survenu dimanche dernier.

On pourrait discourir longtemps au sujet des changements complexes, difficiles et possibles seulement à long terme qui permettraient d’éviter des décès comme celui de Jean René Junior Olivier. Cela dit, refuser de déceler le laxisme qui ouvre la voie à ces décès relève selon moi de l’aveuglement volontaire.

Je répète donc ici ma question du début de mon texte : que faire avec une institution qui prouve qu’elle n’est ni apte, ni prête, ni motivée à honorer la fonction pour laquelle elle existe ?

Mme Bence a affirmé dans les derniers jours qu’elle n’appellerait plus le 911. Je la comprends tout à fait. Il me semble judicieux, la prochaine fois qu’une personne noire sera aux prises avec une crise de santé mentale, de chercher de l’aide auprès de membres de la communauté et d’intervenants psychosociaux qui éviteront la mort de la personne.

Il s’agit là simplement d’un choix logique, jusqu’à ce que les corps policiers démontrent leur aptitude, leur préparation et leur motivation à préserver la vie.

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