Après 20 ans de présence en Afghanistan, les dernières troupes américaines présentes sont sur le point de quitter le pays de manière définitive. Pour l’Occident, ce retrait constitue malheureusement un échec stratégique cuisant. Malgré plus de 800 milliards de dollars américains en dépenses militaires et une présence massive dans le pays qui aura coûté la vie à plus de 2000 soldats américains (et 158 soldats canadiens), les États-Unis n’ont pas été en mesure de faire plier ceux qui ont jadis apporté une aide indirecte à Oussama ben Laden et à ses hommes.

Certes, l’administration Biden peut essayer de sauver la face en affirmant que l’objectif initial a été réalisé, à savoir l’élimination de la menace terroriste qui opérait dans le pays, tout en étant en mesure de retirer ses troupes dans l’ordre et la discipline (image qui déteint bien évidemment du chaos qui avait entouré en 1975 le départ en catastrophe des derniers Américains présents à Saïgon au moment de l’entrée des Vietcongs dans la capitale du Viêtnam du Sud).

Cependant, cette rhétorique cache bien évidemment un mensonge à peine dissimulable : à l’instar des Britanniques au XIXe siècle et des Soviétiques dans les années 1980, l’armée américaine aura subi une humiliante défaite, en plus d’avoir échoué dans ses tentatives d’y construire un État démocratique et stable respectueux des droits de la personne.

Car, nonobstant ce que Joe Biden dit ouvertement1, cet objectif était un élément clé de la mission américaine. Lors d’une grande conférence internationale tenue en Allemagne en décembre 2001, où les Américains en profitèrent pour faire reconnaître la légitimité de celui qu’ils avaient choisi pour diriger le pays, Hamid Karzaï, ils avaient alors affirmé les « vertus civilisatrices » de la mission devant mener à la reconstruction, à la démocratisation et au développement de l’Afghanistan. Cette intention s’était par la suite métamorphosée dans le déploiement de « Provincial Reconstruction Teams » un peu partout dans le pays ainsi que par une aide de plusieurs milliards de dollars. À l’époque, celui qui était le sénateur Biden avait appuyé toutes ses initiatives avec enthousiasme.

Nul ne peut prédire l’avenir, mais tout porte à croire que ce n’est qu’une question de temps avant que les talibans ne puissent reprendre le contrôle du pays. Leur stratégie est d’ailleurs claire à cet égard. Plutôt que de lancer des assauts coûteux en hommes et en matériel contre les grandes villes du pays, leur objectif semble plutôt d’y isoler les troupes gouvernementales en leur coupant toute forme de ravitaillement. La prise de contrôle des principaux postes frontaliers avec le Pakistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan en constitue la preuve la plus éclatante, dans la mesure où toute importation dans le pays de nourriture et d’équipement est aujourd’hui entre les mains des talibans. Ils n’ont donc qu’à attendre quelques semaines avant que les vivres ne viennent à manquer aux troupes et à la population civile encerclées à Kaboul et ailleurs.

Qu’adviendra-t-il à ce moment ? Les talibans n’ont guère changé depuis 20 ans et leur victoire ne contribuera qu’à les galvaniser encore davantage. En conséquence, il y a fort à parier que les femmes et les minorités du pays retourneront à la servitude qui fut la leur entre 1996 et 2001, ce qui contribuera à faire de ce retrait non seulement une défaite militaire, mais également humanitaire.

En outre, malgré les dires du président des États-Unis, la menace terroriste n’a pas été éradiquée du pays. Certes, Al-Qaïda n’est plus la force dominante, mais elle a tout simplement été remplacée par celle de l’État islamique qui revendique une série d’attentats survenus dans le pays depuis les dernières semaines. Il est donc très probable que, comme ben Laden à l’époque, les membres de ce groupe bénéficieront désormais d’une base opérationnelle à partir de laquelle ils pourront s’entraîner et organiser de futures attaques de grande envergure contre l’Occident à l’abri de toutes représailles compte tenu du manque de collaboration à prévoir en matière de renseignements avec les futures autorités talibanes. Joli gâchis que tout cela.

* Jean-François Caron est l’auteur de L’Occident face au terrorisme : regards critiques sur 20 ans de lutte contre le terrorisme aux Presses de l’Université Laval

(1) Écoutez La déclaration de Joe Biden, en anglais : « We did not go to Afghanistan to nation-build » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion