Le gouvernement fédéral a innové le mois dernier lorsque Carla Qualtrough, ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, a présenté au Parlement un projet de loi visant une nouvelle prestation canadienne pour les personnes handicapées.

Un grand nombre d’entre nous, membres de la communauté des personnes handicapées, sont aussi optimistes que sceptiques, car nous savons qu’il est peu probable qu’une telle loi soit adoptée avant des élections à l’automne.

On a déjà fait de nous un ballon politique, mais un récent sondage d’Angus Reid nous donne des raisons d’être optimistes.

Les Canadiens appuient fortement et en très grand nombre la Prestation canadienne pour les personnes handicapées (89 %), pensent que nos gouvernements fédéral et provinciaux n’en font pas assez pour les personnes handicapées (59 %), et croient que la nouvelle prestation devrait être mise en œuvre rapidement (74 %) et établie au-dessus du seuil de la pauvreté (63 %).

Le sondage indique que les Canadiens sont convaincus que la pauvreté et l’incapacité ne devraient pas coexister dans un pays aussi riche que le Canada. Ils ont raison, mais ce n’est pas l’ensemble du tableau.

En effet, la conversation nationale sur l’incapacité et la pauvreté ne se penche pas jusqu’à maintenant sur le fait que les personnes racisées et handicapées restent marginalisées, invisibles et pauvres. Toute nouvelle prestation pour personnes handicapées doit tenir compte de ces réalités afin de joindre les personnes mêmes qu’elle se propose d’aider.

Ce n’est pas le cas à ce jour.

En tant que femme d’origine sud-asiatique avec une lésion médullaire acquise, j’ai besoin d’un fauteuil roulant électrique, ainsi que d’une maison et d’une fourgonnette accessibles pour mon emploi et mes activités quotidiennes. Je vis avec des parents, en plus de mon époux et de mon fils. La cohabitation multigénérationnelle est la norme de ma culture, mais elle représente souvent pour moi un obstacle aux prestations pour personnes handicapées ou aux fonds pour l’accessibilité, car ils sont liés au revenu du ménage.

Les politiques actuelles en matière d’invalidité ancrées dans la définition occidentale de la famille et intégrées à des modèles de bien-être forcent les Canadiens handicapés à vivre seuls ou à renoncer à leur filet de sécurité s’ils décident de se marier ou de cohabiter avec d’autres adultes salariés.

De nombreuses communautés racisées, notamment les familles asiatiques, noires et autochtones, vivent fréquemment dans des structures de famille élargie où tous les adultes travaillent et gagnent très souvent des salaires plus bas. Toutefois, en raison du revenu combiné du ménage, la personne handicapée peut ne pas être admissible aux prestations d’invalidité ou aux fonds pour l’accessibilité. Les critères d’admissibilité actuels de la plupart des programmes pénalisent ceux qui choisissent de vivre avec leur famille élargie et favorisent l’exclusion sociale.

Je sais personnellement à quelle vitesse les coûts de la vie avec un handicap s’accumulent. Un fauteuil roulant manuel coûte entre 8000 $ et 10 000 $ et un fauteuil électrique, entre 32 000 $ et 45 000 $. Pour avoir un véhicule accessible, il faut acheter une fourgonnette et dépenser au moins 40 000 $ pour la modifier.

Même lorsque certaines provinces paient jusqu’à 75 % du coût d’achat des dispositifs d’aide à la mobilité, les 25 % restants sont difficiles à assumer pour bien des gens. Et il ne s’agit pas de dépenses ponctuelles.

Il y a ensuite les questions de sensibilisation et d’accès à l’information en temps opportun. Il arrive souvent que les familles de nouveaux arrivants ne soient pas au courant des mesures de soutien pour les personnes handicapées, ce qui peut entraîner des difficultés financières excessives et nourrir le stéréotype voulant que les personnes handicapées soient un fardeau pour leur famille.

Il est essentiel que la Prestation canadienne pour les personnes handicapées proposée soit accessible à tous les Canadiens handicapés, particulièrement ceux dont la langue maternelle n’est peut-être pas le français ou l’anglais. La sensibilisation et la mobilisation inclusives doivent comprendre les Noirs, les Autochtones et les communautés racisées et d’immigrants.

Au lieu de se fier uniquement aux médias grand public, qui souvent ne servent pas bien les communautés racisées, ou d’attendre des recommandations des services sociaux, les programmes pourraient être communiqués par les ressources communautaires locales des divers groupes culturels : centres religieux, écoles de langue, activités sociales ethniques et médias ethniques.

Dans le cadre de mon travail au Holland Bloorview Kids Rehabilitation, de nombreux immigrants m’ont dit qu’ils n’étaient pas au courant des mesures de soutien pour les personnes handicapées et avaient manqué des thérapies essentielles pour leurs enfants. Cette situation doit changer avec la mise en œuvre d’une nouvelle prestation fédérale d’invalidité.

Les dirigeants de la communauté des personnes handicapées négligent également depuis longtemps les besoins particuliers des Canadiens handicapés racisés et ont déployé peu d’efforts pour mobiliser ces personnes. Il est temps que nous changions cette situation.

L’invalidité est personnelle, mais elle a des répercussions sur toute la famille. Toute nouvelle prestation canadienne pour les personnes handicapées doit accorder la priorité à la mobilisation des communautés racisées tout au long du processus de création et de mise en œuvre, sinon un trop grand nombre de familles canadiennes continueront d’être exclues.

*Meenu Sikand est également fondatrice d’Accessibility for All, un organisme voué à faire entendre davantage la voix des personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC).

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