Une crise en chasse une autre. En février 2020, juste avant la pandémie, le Canada était plongé dans une crise reliée au droit territorial autochtone.

En solidarité avec la nation Wet’suwet’en en Colombie-Britannique, certaines communautés autochtones avaient bloqué voies ferrées, ponts, ports et routes dans tout le pays. Leur but : stopper le projet de construction d’un pipeline dont le parcours traverse les terres ancestrales des Wet’suwet’en. Le constructeur du pipeline avait obtenu le consentement des chefs de bande élus, mais pas celui des chefs héréditaires. En Ontario, le service passager de VIA Rail entre Toronto et Montréal avait été interrompu. Au Québec, des Mohawks de Kahnawake avaient bloqué le train de banlieue à Candiac. En plein hiver, les esprits s’échauffaient.

Cette crise s’est atténuée quand, en mars, la pandémie a détourné l’attention vers une menace plus pressante. En même temps, les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique ont entamé des pourparlers avec les chefs héréditaires Wet’suwet’en pour leur reconnaître un rôle dans la gestion du territoire.

Mais sur le fond, rien n’a été réglé : la construction du pipeline se poursuit, sans changement de parcours.

Durant cette crise de l’hiver 2020, nous avons frôlé le précipice, pour ensuite s’en éloigner un peu. C’était il y a à peine 17 mois, autant dire il y a un siècle. Ce qui me l’a rappelée, c’est le film Beans sur la crise d’Oka présentement à l’affiche. La réalisatrice autochtone Tracey Deer y propose un regard personnel sur cet épisode douloureux de l’histoire du Québec, à travers les yeux d’une fille de 12 ans qui entame son adolescence lors de la crise d’Oka.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Tracey Deer, réalisatrice mohawk

L’une des scènes fortes du film montre les évènements du 28 août 1990 : une foule déchaînée de quelques centaines de Québécois, spontanément rassemblée aux abords du pont Mercier à LaSalle, a injurié un convoi de voitures transportant femmes, enfants et vieillards de Kahnawake, qui traversaient le pont depuis la réserve vers Montréal. Le pont Mercier était bloqué par des Warriors Mohawk depuis sept semaines, causant désagréments aux conducteurs des 70 000 véhicules qui l’empruntaient quotidiennement, en temps normal. La frustration devant ce blocus qui s’éternisait était à son comble. Lorsque le convoi de voitures mohawk a émergé du pont, à LaSalle, quelques dizaines de têtes brûlées se sont mises à lui lancer pierres, briques et autres projectiles. Des vitres ont été fracassées.

Le film montre, du point de vue de la jeune fille terrifiée, tapie dans l’une des voitures, des policiers de la Sûreté du Québec (SQ) qui assistent à cette lapidation les bras croisés, laissant faire. Nous sommes sept semaines après la mort du policier Marcel Lemay, tué par une balle mohawk lors de la tentative ratée de l’escouade tactique de la SQ visant à démanteler la barricade d’Oka. Voilà ce qui arrive, ou peut arriver, quand on laisse une foule exaltée « se faire justice » à elle-même.

Une perspective différente sur ce même évènement est offerte par un policier émérite présent sur les lieux à l’époque. De son point de vue, la SQ a malheureusement été débordée, et n’a pu empêcher ce dérapage.

La SQ aurait-elle pu éviter ce moment ignoble de notre histoire ? La question reste ouverte ; la vérité est souvent difficile à établir. En cas d’évènement majeur comme celui-là, les bleus (SPVM) auraient-ils pu appuyer les verts (SQ), même sur une artère hors de leur territoire ?

Dans l’analyse rétrospective d’un conflit, on peut toujours trouver un geste antérieur qui est présenté comme la « provocation » du suivant ; c’est la logique de l’escalade. Pour chaque partie prenante, c’est toujours la faute de l’autre.

Pas question de se servir de cet épisode infame pour distribuer le blâme. C’est simplement une occasion de se rappeler comment des tensions politiques peuvent escalader, se muer en crise, et parfois dégénérer en violence. Quand le processus politique n’offre pas un espoir crédible pour régler ou atténuer un conflit, les parties prenantes sont poussées à des gestes désespérés.

Est-il possible qu’un dérapage tel celui du 28 août 1990 se reproduise ? On dit que l’histoire se répète. Surtout si on l’oublie, moins si l’on s’en souvient.

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