L’auteur s’adresse à Chantal Rouleau, ministre déléguée au Transport et ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal

Madame la Ministre Rouleau,

La Presse du 26 juin* a rapporté certains éléments du rapport du groupe de travail mandaté par votre gouvernement pour revoir à la baisse les coûts du prolongement de la ligne bleue. Nous y apprenons qu’il est recommandé d’imposer une nouvelle redevance aux projets immobiliers situés dans un rayon de 1 km de chacune des stations et de récupérer 15 % des taxes foncières additionnelles générées par le projet. Ces propositions contredisent les constats et pistes d’action du gouvernement en matière d’occupation du territoire.

L’effet pervers des redevances

L’imposition d’une redevance foncière comporte des effets pervers sur les plans social et environnemental.

D’abord, soulignons que les redevances imposées aux projets résidentiels sont transférées au prix d’achat du nouvel acquéreur ou du loyer du nouvel occupant. C’est vrai pour les redevances du règlement 20-20-20 et celles du Réseau express métropolitain (REM). Ce sera la même chose dorénavant pour celles liées au métro.

Dans une période où plusieurs notent un recul de l’abordabilité, le recours à cette redevance n’est pas sans conséquence, et parmi celles-ci, la volonté de créer des milieux de vie inclusifs en sera particulièrement affectée.

Ceux qui ont moins de ressources financières seront repoussés au-delà du rayon de 1 km du parcours. On voit mal comment une telle ponction foncière pourrait faciliter les objectifs du nouveau projet de plan d’urbanisme et de mobilité de la Ville de Montréal (PUM) qui cherche à planifier la mixité des quartiers de proximité.

Ensuite, ce mode d’imposition s’inscrit à contre-courant des objectifs d’importants investissements publics. Pour faire face à l’urgence climatique et développer des solutions de rechange à l’auto solo, les autorités lancent de nombreux projets de transports collectifs structurants : le REM 1.0 et 2.0, les prolongements des lignes bleue et orange, le tramway de Lachine, la desserte Taschereau. Ces réseaux de transport favorisent une densification adaptée et attrayante permettant de réduire l’étalement urbain. Alors que l’on vise la neutralité carbone et que l’on encourage les personnes et les familles à habiter à proximité de stations de transports collectifs pour limiter le recours à la voiture, le groupe d’action propose une redevance immobilière contre-productive. Plutôt que de privilégier cette approche, il serait préférable d’introduire graduellement une taxe kilométrique pour assurer un meilleur financement des transports collectifs.

La taxe foncière

Selon La Presse, le rapport recommande de récupérer 15 % de l’impôt foncier additionnel généré par le prolongement de la ligne bleue. Il s’agit de revenus que Montréal devra céder au gouvernement. En exigeant ce paiement, Québec réduira la capacité de Montréal d’aménager la trame urbaine pour réaliser des quartiers densifiés attrayants autour des stations. Il faut bien se rendre à l’évidence : Montréal n’a pas les moyens de renoncer à ses ressources financières.

Montréal est la ville canadienne au plus lourd fardeau foncier. Le surcharger encore davantage réduirait son attractivité économique.

Plutôt que de lui soutirer des revenus anticipés dont elle aurait bien besoin, Québec doit reconnaître la situation financière précaire des grandes villes et lancer un programme de transfert municipal avec des volets en transport durable, en habitation et en aménagement urbain.

N’est-ce pas d’ailleurs une idée évoquée au document de consultation du gouvernement sur l’occupation du territoire publié il y a quelques semaines, Orientation 2 : Un État dont l’exemplarité et la cohérence participent à l’aménagement responsable des territoires, et qui nomme parmi les leviers d’action « des projets financés par l’État et des programmes d’aide financière contribuant à favoriser un aménagement durable du territoire » ?

La vision gouvernementale

Le rapport sur les coûts du prolongement de la ligne bleue étonne à la lecture du récent document de consultation du gouvernement du Québec sur l’occupation du territoire. Les constats et pistes d’action qu’on y trouve sont pertinents et ambitieux :

« Les pratiques actuellement en vigueur au Québec en matière de développement du territoire favorisent des modes d’occupation du territoire qui sont coûteux à la fois pour les finances publiques, mais également sur les plans humain et environnemental. L’étalement urbain perpétue le recours à la voiture pour l’accès aux services, au détriment de modes de transport actif […] Développer le territoire dans une optique de densité afin de concentrer les populations à proximité des services, tout en préservant les terres agricoles et les milieux naturels et en misant sur les effets structurants du transport et sur des modalités fiscales incitatives, éviterait la destruction de milieux d’intérêt et offrirait des réponses aux défis soulevés par les changements climatiques… »

Et encore : « … la canalisation de la croissance urbaine à proximité des points d’accès au réseau de transport collectif et actif ; des pratiques d’aménagement qui diminuent la dépendance à l’automobile ainsi qu’aux émissions de GES ; une cohabitation des usages accrue aux abords des infrastructures, des équipements et des installations de transport stratégique existant afin notamment de maintenir l’efficacité de ceux-ci… »

Le recours aux ponctions foncières proposé par le groupe de travail pour financer les réseaux structurants de transport est contraire aux objectifs sociaux, environnementaux et économiques du gouvernement du Québec et de la Ville de Montréal. Nous souhaitons vivement que les autorités choisissent de s’inspirer de leurs propres constats et pistes d’action pour assurer leadership et cohérence dans l’atteinte des objectifs de neutralité carbone.

*Lisez « Un coup de ciseaux de 1,2 milliard »

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