La localisation des dépouilles des 215 enfants dans une fosse commune de l’ancien pensionnat de Kamploops, en Colombie-Britannique, puis des nombreuses autres localisations des dernières semaines qui dépassent désormais le millier a, une fois de plus, rappelé à quel point le legs des pensionnats indiens est profondément sombre. Lors des audiences de la Commission de vérité et réconciliation active entre 2007 et 2015*, des témoignages avaient mentionné l’existence de ces fosses ou sites non marqués (la Commission a visité plus de 300 communautés à l’échelle du Canada et a entendu plus de 6500 témoignages). La Commission avait noté dans son rapport notamment la recommandation #75 :

« Nous demandons au gouvernement fédéral de collaborer avec les gouvernements provinciaux et territoriaux de même qu’avec les administrations municipales, l’Église, les collectivités autochtones, les anciens élèves des pensionnats et les propriétaires fonciers actuels pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies et des procédures qui permettront de repérer, de documenter, d’entretenir, de commémorer et de protéger les cimetières des pensionnats ou d’autres sites où des enfants qui fréquentaient ces pensionnats ont été inhumés. Le tout doit englober la tenue de cérémonies et d’évènements commémoratifs appropriés pour honorer la mémoire des enfants décédés. »

Lisez le document Commission vérité et réconciliation du Canada : Appels à l’action

Je tends normalement à éviter de lire les commentaires à la suite de lecture d’articles – je trouve que ça dépeint une humanité qui ne correspond souvent pas à la généralité. Ça suscite également en moi une certaine émotivité et à un moment donné, on va se le dire, ça devient plus que nécessaire de mettre ses énergies ailleurs. Mais par rapport à ces inhumations, je me suis dit que ce serait certainement différent.

Franchement, quoi trouver d’autre à dire que d’avoir le cœur serré pour ces enfants ?

Certes, j’y ai lu beaucoup d’indignation, mais aussi tout un lot de commentaires « on veut encore nous faire sentir coupables », « on veut nous faire porter les erreurs du passé, qu’on ait honte d’être Québécois », etc. À toutes les personnes qui pensent ainsi, j’ai envie de vous répondre ceci : pensez-vous vraiment que les anciens pensionnaires ont envie que vous vous sentiez comme ils se sont sentis ? Pensez-vous vraiment que leur processus de guérison passe par une transposition de leur propre culpabilité, honte, infériorité, sur vous ? Peut-être que cela n’a pas été bien compris jusqu’à maintenant, ou peut-être n’avez-vous pas encore eu l’occasion de rencontrer d’anciens pensionnaires pour qu’ils vous racontent avec tellement de transparence toute la douleur qui a marqué à tout jamais ce passage dans leurs vies ?

Si vous n’avez pas entendu raconter par les pensionnaires eux-mêmes leur vécu, je vous partage les propos de M. Marcel Pitikwe, Atikamekw de Wemotaci, que j’admire pour tout le courage avec lequel il raconte son passage dans les pensionnats. Il a partagé ceci dans le cadre du Projet Masinahikan en 2007, Ma petite valise du pensionnat :

« Quand je suis parti pour la première fois pour le pensionnat, ma mère prépara avec soin ma petite valise. Elle prit soin de mettre tout ce dont j’aurais besoin. Mon linge, quelques jouets que je ne revis jamais. J’avais 6 ans pour ce premier voyage. Dans ma petite valise, ma mère avait mis aussi tout l’amour qu’elle avait, sans oublier celui de mon père. Il y avait aussi des caresses, de la tendresse, du respect pour moi et pour les autres, le partage et beaucoup d’autres qualités qu’elle m’avait enseignées. Le voyage a duré 12 ans. Lorsque je suis revenu à la maison, ma petite valise était lourde. Ce que ma mère avait mis n’y était plus : amour, caresses, toutes ces belles choses avaient disparu. Elles avaient été remplacées par la haine, le rejet de moi, les abus de toutes sortes (alcool, drogues, abus sexuel) par la violence, la colère et les idées suicidaires. C’est ce que j’ai transporté pendant longtemps. […] »

Au-delà que le système ait impliqué des Canadiens français, des Canadiens anglais, l’État, différentes confessions religieuses, etc. ne perdons pas de vue que ce sont avant tout des humains qui ont commis en toute impunité ces atrocités sur ce qu’il y a de plus précieux et de plus vulnérable que puissent être les enfants au bénéfice d’une idéologie bien définie et sans équivoque : « tuer l’Indien dans l’enfant ». Lorsqu’une telle idéologie est prônée, elle génère des conséquences dévastatrices, peu importe que ses principaux acteurs soient des personnes de foi ou pas, qu’ils soient anglophones ou francophones. Lorsque nous posons un regard de supériorité envers un autre groupe, un autre peuple, cela justifie des actes, des comportements, des propos, immondes.

L’idée d’en parler, c’est oui, de guérir, mais c’est aussi de pouvoir s’offrir de cheminer ensemble dans ce processus de guérison. Ce n’est pas de faire porter la culpabilité sur quiconque, mais plutôt d’inscrire dans les mémoires collectives l’impact des pensionnats sur les Autochtones.

Vous n’êtes pas responsables du système des pensionnats, mais vous avez le devoir de vous rappeler et de transmettre la vérité aux prochaines générations. Pour que ce passage cesse d’étonner, que ce soit connu, pour que les anciens pensionnaires arrêtent d’avoir à se justifier – c’est arrivé, nous vous croyons.

D’arrêter de marcher sur des œufs : c’est un génocide. Continuons de le dire. Je peux comprendre que ce soit difficile de l’admettre. C’est un processus en soi. Cependant, faire rebondir la discussion vers d’autres directions est contre-productif à mon sens. C’est reporté le trauma aux prochaines générations. Brisons le cycle ensemble maintenant.

La vérité est porteuse de guérison et est réparatrice. Elle est nécessaire pour que les anciens pensionnaires sentent qu’ils sont importants, que leur existence compte, que l’enfant qu’ils étaient n’auraient jamais dû subir tous ces sévices. De sentir le soutien populaire. Qu’ils puissent vivre plutôt que survivre. Invitez-les à venir raconter leur vécu à vos émissions de radio, de télévision, à vos écoles, etc. Faites partie de cette diffusion de la vérité. Célébrons ensemble leur résilience. Ils ont connu le côté le plus sombre de l’Humanité, mais malgré tout, ils ont puisé en eux la force de continuer d’avancer.

Il y a quelque temps, mon fils est allé passer quelques minutes avec son groupe du CPE au lieu de recueillement organisé à Odanak. Je ne lui avais alors pas encore parlé de Kamloops ni des autres sites. En allant le chercher, il m’a demandé que nous y retournions ensemble. Sur place, je lui ai demandé : « comment as-tu trouvé cela venir ici ? » Du haut de ses 4 ans presque 5, il m’a répondu ceci : « Bien, maman. J’ai vu des souliers de mes amis. C’est beaucoup d’enfants qui sont morts. Il ne faut pas les oublier, hein, maman ? Je vais les porter dans mon cœur. »

Et puis, maintenant, faisons collectivement en sorte que les enfants qui n’ont pu retourner à leurs parents puissent retrouver leurs terres et qu’on leur rappelle au passage que leur famille les a aimés tendrement et ne les a jamais oubliés.

Wliwni (se dit olé-oné), merci !

Wli nanawalmezi ! Prends bien soin de toi !

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