À la mi-juillet, la journaliste Anne Sinclair célébrera son anniversaire. Si chaque anniversaire peut représenter pour nous tous la possibilité d’une certaine renaissance, celle d’Anne Sinclair, cette année, a eu lieu un peu plus tôt, soit le 2 juin dernier, date de la sortie de ses mémoires. Au Canada, c’est en août prochain que Passé composé sera sur les tablettes.

Anne Sinclair a créé, avec son émission 7 sur 7 et pendant plus d’une décennie, un incontournable rendez-vous télévisuel pour des millions de Français et de francophiles autour du monde. Dans Passé composé, elle revient notamment sur certaines des interviews mémorables de cette émission-phare de la chaîne française TF1. De Gorbatchev à Madonna et autres têtes d’affiche qui faisaient les manchettes dans les années 80 et 90.

Il y a 10 ans, Anne Sinclair s’est retrouvée décoiffée et bousculée par le cyclone que fut l’affaire DSK. Ce scandale doit ses initiales à Dominique Strauss-Kahn. En 2011, alors mari d’Anne Sinclair, Strauss-Kahn était directeur général du Fonds monétaire international et candidat pressenti à la présidentielle française. Mais surtout, il sera accusé de séquestration et de tentative de viol sur Nafissatou Diallo, à l’hôtel Sofitel de New York. Les révélations lors du procès seront annonciatrices d’accusations subséquentes en France contre DSK, dont une autre de tentative de viol et une de proxénétisme.

Anne Sinclair n’avait jamais parlé de cette affaire en public. Peut-être était-elle notamment trop occupée par ses nombreux projets, dont celui de fonder et de diriger le HuffPost – penchant français de l’agrégateur de nouvelles et blogue The Huffington Post. Dans Passé composé, le chapitre sur lequel on a envie de se précipiter en premier est celui dont l’absence n’aurait pas affaibli l’ouvrage. Dans ce « chapitre impossible », tel qu’il s’intitule, Anne Sinclair aborde l’imbroglio de 2011. Elle détaille, mais pas complètement.

Elle corrige certains dires, mais pas tous. Le scandale a plusieurs angles et l’auteure parle du sien, mais seulement en fragments. Sinclair n’a pas succombé à un des maux de notre époque et la tendance facilitée par les plus récents outils de communication, soit le surpartage d’information.

Ce type de partage d’information, tantôt indu et tantôt presque outrancier, fait maintenant partie de notre culture, plus que jamais. Il a même, lui aussi, un sobriquet à trois initiales : TMI, Too Much Information. Et, en plus d’être souvent récompensé – à coup de likes, d’importantes cotes d’écoute ou d’un grand nombre d’exemplaires vendus, selon la forme utilisée –, le partage d’information excessif est souvent maintenant exigé.

C’est ce qui s’est passé au tournoi de tennis de Roland-Garros, le mois dernier, à Paris. En annonçant qu’elle ne participerait pas aux traditionnelles mêlées de presse post-matchs, afin de préserver sa santé mentale qu’elle sentait fragile, la joueuse Naomi Osaka a fait face à des critiques qui sont très rapidement passées de fans à tribunal. Et comme pour effacer un certain doute chez eux et pour calmer le jeu, Osaka – quelques jours après le début de la tempête qu’avait créée sa décision – a dévoilé qu’elle avait souffert d’épisodes de grande dépression depuis 2018. Elle a été forcée de divulguer une information qui, pourtant, ne nous regardait pas. Ces personnages publics, surtout lorsqu’ils ne sont ni élus politiques ni délinquants criminels, ne nous doivent pas leur intimité. Nous ne sommes pas obligés de tout savoir, tout le temps. Ils ont le droit de choisir ce qui devrait rester dans l’ombre, même si tant de moments de leur vie se passent sous l’éclat de la lumière. Un peu comme votre amie qui ne vous a pas parlé de sa fausse couche, bien qu’elle ait annoncé sa grossesse en grande pompe, sur Facebook ou sur Instagram.

Il y a des exemples de partage d’information intime qui ont fait œuvre utile. Je pense notamment à Angelina Jolie. En 2013, l’actrice a signé un texte dans le New York Times expliquant sa brave décision de subir une double mastectomie préventive.

Dans les deux semaines suivant la publication du texte de Mme Jolie, les entreprises d’assurance médicale aux États-Unis ont enregistré une hausse de 64 % des tests de dépistage du BRCA1. C’est le gène qui augmente le risque d’être atteint d’un cancer du sein et celui dont Angelina Jolie était porteuse.

Je pense aussi à Betty Ford, l’ancienne première dame des États-Unis. Trente-neuf ans avant la révélation d’Angelina Jolie, alors que le sujet était encore tabou, Mme Ford avait dévoilé qu’elle était atteinte d’un cancer du sein. Deux jours après son diagnostic, elle subissait une mastectomie. La photo du président Gerald Ford au chevet de sa femme convalescente, au Centre médical militaire national Walter Reed, avait fait le tour du monde et aujourd’hui, elle est presque iconique.

À la suite de la divulgation de Betty Ford, le nombre d’examens cliniques des seins a augmenté de manière significative et il y a eu un début de déstigmatisation de la maladie. Tout comme l’alcoolisme, dont Mme Ford avait dévoilé être atteinte en 1978. Aujourd’hui, un réseau de centres de désintoxication et de réadaptation porte le nom de Betty Ford. Mais ces révélations – celle d’Angelina Jolie et celles de l’ancienne première dame – étaient par choix, pas par obligation.

L’année prochaine marquera le 30e anniversaire de l’émission The Real World, la première vraie série de téléréalité. Il est presque impossible de compter le nombre de séries du genre qui ont suivi. Est-ce que trois décennies d’accès à un quasi-voyeurisme, presque en tout temps, ont fait de nous une culture inassouvie par la retenue et incapable d’apprécier la discrétion ?

« Je ne dis pas tout, mais tout ce que je dis est vrai », a confié Anne Sinclair à la journaliste Sophie Des Déserts, en parlant de son livre. C’est son droit et il devra nous satisfaire.

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