Ces dernières années, et pour de multiples raisons, la société québécoise a glissé progressivement dans un processus « fragmentitaire ». Sans nier l’importance des droits individuels ou groupusculaires, nous sommes coincés depuis des mois dans une crise sanitaire qui présentera tôt ou tard des défis sur le plan économique. Nous allons devoir nous serrer les coudes pour éviter que ces défis ne se transforment en une crise sociale qui, inévitablement, risque d’apporter son lot de violence.

Si le Québec a donné l’impression d’être une société uniforme, notamment dans les discours souverainistes, force est de constater que les minorités culturelles et religieuses ou les groupes soudés autour d’une cause légitime ont revendiqué des espaces d’expression, mais aussi de reconnaissance de leur expérience. La société québécoise apparaît aujourd’hui comme une mosaïque majoritairement francophone, mais aux multiples facettes.

Les démarches pour que l’ensemble de la population s’intéresse aux réalités singulières, tant dans les lois que dans les médias, ont toutefois amené nombre de confrontations idéologiques débouchant souvent sur la négation de réalités plus collectives. Conséquemment, bien des dangers émergent, le plus important étant la fragmentation de l’identité de la société civile dans laquelle les individus s’opposent au lieu de s’entraider pour aller de l’avant.

Il ne s’agit nullement de critiquer le bien-fondé des revendications identitaires, mais de faire en sorte qu’elles s’inscrivent dans une initiative qui ne brime ni les droits personnels ni les nécessités collectives. Ainsi, la culture québécoise peut s’enrichir d’une contribution multifacette qui s’appuie sur le bien commun et non sur des luttes de pouvoir entre groupes.

La dynamique fragmentitaire émerge de différentes sources : il y a le commentaire maladroit d’un Jacques Parizeau déçu en 1995 ; il y a la volonté de sortir des ostracisations historiques de certaines réalités humaines ; il y a la violence visant encore certaines communautés et leur souffrance ignorée ; il y a les idéologies développées sur les campus universitaires étasuniens ; il y a aussi les confrontations séculaires entre communautés francophones et anglophones ; il y a enfin la peur de ce qui est différent de soi…

S’il est nécessaire d’être vu et entendu dans sa réalité émotionnelle pour obtenir la reconnaissance d’autrui, il faut faire attention que cette reconnaissance individuelle ne se fasse pas au détriment des autres. On le voit dans plusieurs débats sociaux actuels : le courant de pensée fragmentitaire nous conduit à devoir affronter de nombreux problèmes qui divisent au lieu de rassembler.

Il est donc arrivé un temps durant lequel il est nécessaire de définir des points d’ancrage qui vont permettre à chaque individu de trouver sa place dans la communauté québécoise, mais qui vont aussi, dans une conscience collective, nous permettre de protéger la langue française, le tissu social et la culture québécoise. Non pas comme un « tout uniforme », mais comme un collectif prenant soin de chacun.

Même s’ils partent souvent d’une demande de reconnaissance légitime, certains groupes ont malheureusement instrumentalisé les souffrances individuelles pour maintenir les luttes conflictuelles. Or, le Québec n’a pas le luxe de se fragmenter au moment où de nombreux défis doivent être relevés : les effets collatéraux de la crise sanitaire ; les enjeux démographiques, dont la dispersion des communautés sur le territoire et le risque de repli en ghettos dans les villes ; le développement durable et la capacité de soutenir socialement les plus vulnérables ; le fait francophone qu’on ne peut ignorer, sans toutefois exclure les anglophones et allophones.

Il nous faut donc renouer avec une solidarité collective qui accueille avec bienveillance les singularités individuelles, mais encourage en même temps la protection d’un bien commun mû par les valeurs universelles. Il faut trouver des points de rencontre entre le ressenti d’une personne et la réalité ou l’intention d’autrui. Il faut trouver des espaces de communication dans lesquels une personne peut s’exprimer et être pleinement écoutée sans qu’autrui soit, à son tour, diabolisé. Il faut prendre soin de chacun, sans nier les besoins légitimes des autres.

Pour sortir des solitudes, les Autochtones utilisaient une démarche qui pourrait nous inspirer. Ceux qui étaient disposés à transcender leur vécu se rassemblaient pour faire partager leurs perceptions d’une situation ayant créé de larges émotions, alors que ceux qui étaient encore trop en colère ne se présentaient qu’au moment où ils étaient prêts à dialoguer. Chacun s’écoutait, avec bienveillance, respect et compassion. Une sagesse collective finissait par émerger… et le bien commun de la communauté s’en retrouvait grandi.

Il ne s’agit nullement de nier le ressenti individuel, chaque individu a son vécu et mérite d’être non seulement écouté, mais entendu dans son histoire singulière. Il s’agit de se rappeler que c’est en nous unissant avec la volonté de consolider ce qui nous unit que nous pourrons, ensemble, relever les défis qui nous attendent, alors que de nombreuses situations nous bousculeront collectivement dans les prochaines années.

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