La dure leçon de la COVID-19

S’il y a une leçon politique et économique que la COVID-19 est venue confirmer de façon éclatante, c’est qu’une « gouvernance » déficiente ou carrément mauvaise tue.

Depuis une trentaine d’années, des experts en développement international se sont intéressés de près au concept de la « bonne gouvernance ». Les professeurs d’administration leur ont emboîté le pas, préoccupés qu’ils étaient par le fonctionnement optimal des organisations, qu’il s’agisse des entreprises et des administrations, qu’elles soient locales, régionales, nationales et même internationales.

On entend par gouvernance la façon dont les États ou les organisations exercent le pouvoir de façon à atteindre leurs objectifs dans les domaines social, politique et économique, cela pour le bien commun. De façon plus détaillée, le concept de « bonne gouvernance » réfère à un ensemble de propriétés telles que la démocratie, l’État de droit, le respect des droits de la personne, l’efficacité, la transparence, la saine gestion financière, l’obligation de rendre des comptes, la répression de la corruption, la participation de la société civile et des citoyens.

Dans le domaine de la coopération internationale où nous avons évolué, ces multiples composantes du concept de bonne gouvernance deviennent rapidement évidentes.

Si, dans un pays, vous participez à une réunion et que les fonctionnaires qui doivent y être sont absents parce qu’ils ne sont pas payés et qu’ils doivent cumuler d’autres emplois, il y a visiblement un problème d’efficience.

S’il est impossible de faire appliquer la loi pour résoudre un litige, il y a une absence de cadre juridique, d’État de droit et probablement de la corruption. Si des règlements sont mis en place sans aucune consultation avec les parties prenantes, on en conclut qu’il n’y a pas de participation et un manque flagrant d’ouverture et de transparence. Si vous travaillez dans un pays où la devise locale a deux taux, l’un officiel et l’autre parallèle, la politique monétaire y est viciée. Bref, la mauvaise gouvernance transforme rapidement ces pays en États faillis qui sont affligés d’une pauvreté extrême et d’une grande instabilité politique.

Aide internationale et bonne gouvernance

Mais la question de la bonne gouvernance n’est pas qu’une question d’impression. À cet égard, les travaux de deux économistes ont été déterminants. Dans une recherche qui a fait histoire, Craig Burnside et David Dollar ont démontré en 1990 que l’aide internationale n’a pratiquement aucun effet dans des pays mal gouvernés, mais qu’au contraire, des États dotés d’une bonne gouvernance en profiteront pleinement. Tout cela déclenche un immense débat au sein des agences de coopération internationale sur l’efficacité de l’aide.

De là à conclure que pour réussir l’aide internationale, il ne faut pas intervenir dans les pays mal gouvernés, il y a un pas qu’il ne faut pas franchir, cela pour des raisons éthiques, puisque l’objectif est de combattre la pauvreté. Par ailleurs, l’option de travailler avec les organisations de la société civile locale est toujours disponible si le gouvernement en place est incompétent.

Ajoutant aux recherches de Burnside et Dollar, il nous semble bon de souligner ici que la pandémie de COVID-19 ajoute une preuve additionnelle de l’importance de la bonne gouvernance.

Aux États-Unis, plus de 600 000 personnes sont décédées, dont un grand nombre à cause de l’action d’un ex-président égocentrique qui a politisé les mesures destinées à lutter contre cette terrible maladie tout en niant par ailleurs son existence.

Au Brésil, on recense 500 000 décès à cause d’un dirigeant ignorant et macho qui a répandu l’idée que se protéger, c’est être faible.

Ce qui est vrai au niveau national pour les États-Unis et le Brésil l’est également au niveau international. Une Organisation mondiale de la santé (OMS) moins aux prises avec les tensions politiques entre la Chine et les États-Unis aurait été plus utile. Quant à l’Organisation des Nations unies elle-même, ses problèmes de fonctionnement sont évidents, en particulier au Conseil de sécurité, ce qui nous éloigne d’une gouvernance mondiale qui deviendra un jour indispensable. Heureusement, plusieurs agences spécialisées réussissent à remplir leur mandat, par exemple l’aide aux enfants, aux réfugiés, aux migrants et en aide humanitaire d’urgence.

Face à la COVID-19, la mauvaise gouvernance a montré ses effets meurtriers. Et puisque les virus voyagent, leurs effets destructeurs peuvent se répandre partout. À la lueur de ce qui précède, il convient de conclure que nous avons appris une dure leçon de cette pandémie, mais qu’elle nous servira peut-être dans l’avenir, notamment avec la crise climatique qui se profile à l’horizon. Les ignorants, les mauvais gestionnaires, les corrompus n’ont pas leur place à la tête des États et des organisations.

* Nigel Martin, Mario Renaud, Nicole St-Martin et Pierre Véronneau, membres du GREDIC. Le Groupe de réflexion sur le développement international et la coopération (GREDIC) est formé d’anciens responsables d’ONG de coopération et d’anciens cadres de l’ACDI. Il est affilié à l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire (OCCAH) de l’UQAM.

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