L’arrivée des vacances estivales invite à une réflexion sans détour sur la problématique de l’accès à l’eau au Québec. Depuis le début de la pandémie, et le phénomène risque fort de persister, de nombreux plans d’eau, organisés ou non, sont envahis. Parfois, hélas, dans un certain désordre.

Nous avons encore en tête les débordements de Rawdon, d'Oka, de Coin-du-Banc à Percé, du lac Saint Jean. Les images rapportées dans les médias ne sont pas toutes reliées à des hordes de fêtards, on y voit aussi des petites familles en quête du bonheur d’une plage. Tout ce monde doit-il porter le blâme d’un manque de sens des responsabilités ? Nos pouvoirs publics doivent ouvrir les yeux sur une réalité criante : les plans d’eau du Québec sont une propriété collective ; leur accès doit être bien sûr encadré, mais d’abord considérablement élargi.

Sur cette île de Montréal, immense par ses 482 km2 et ses 266 km de rives – excluons l’île Notre-Dame –, combien y a-t-il de plages publiques pour rafraîchir 2 millions de résidants en période de canicule ? Pas plus de deux dignes de ce nom.

À Toronto ? Une bonne douzaine. La difficile quête des eaux du fleuve par les citoyens ne concerne pas que les agglomérations de Montréal et de Québec. De Rivière-Beaudette à Carleton-sur-Mer ou Havre-Saint-Pierre, combien y a-t-il de plages accessibles et pourvues de services pour la petite famille ou le visiteur à la recherche d’un lieu de baignade ?

À la source de cette privation, il y a la question de la privatisation des rives. Il en résulte que les cours d’eau se retrouvent en majeure partie « enclavés ». Le Code civil du Québec ne soutient-il pas le principe voulant que nul propriétaire ne doive être enclavé et privé de la jouissance de son bien ?

Et comme pour aggraver le problème, au cours des dernières décennies, des actions de spéculation immobilière pas très honorables ont été menées en toute complicité avec certains conseils municipaux.

Ces actions ont conduit à la privatisation d’espaces riverains exceptionnels, reconnus publics, au profit et à l’avantage exclusif de propriétaires plus futés que les élus.

Que dire également du port de Montréal qui entend difficilement ce besoin d’aménager des espaces pour les citadins en mal d’eau en période de canicule. Le port de Québec n’est pas en reste. Il persiste à refuser aux familles des quartiers centraux la jouissance d’activités nautiques au bassin Louise. Un penchant pour celles, plus sélectes, des bateaux de plaisance ?

Enfin, sur un autre plan, il faut se préoccuper de la « privatisation économique » reliée à une tarification jugée excessive pour les familles à faibles revenus. Comment expliquer que la SEPAQ demande 18 $ à un couple pour une baignade d’une heure ou deux à Pointe-Taillon (même tarif à la plage Jean Doré de la Ville de Montréal), alors que les grandes plages de sable comme celles de Wells, Ogunquit, Kennebunk (Maine), Hampton (New Hampshire), Miscou (Nouveau-Brunswick) sont accessibles gratuitement ?

Dans un tel contexte, faut-il se surprendre de certains débordements en périodes de canicule de la part d’urbains en mal d’eau et d’espace ? Faut-il se surprendre que ce soit au Québec qu’on retrouve en plus grand nombre les petites piscines d’arrière-cours ?

Une priorité nationale

L’eau, qu’elle soit celle de rivières, de lacs ou du Saint-Laurent, relève entièrement du patrimoine collectif. Notre gouvernement est fiduciaire de ce patrimoine. Peut-il encore longtemps fermer les yeux sur les trop nombreuses conditions qui en limitent l’accès ? Au plus vite, une politique nationale à ce chapitre. À maints endroits, sous la pression populaire, des gouvernements ont racheté des bandes riveraines ou facilité la relocalisation de certaines activités portuaires pour en donner jouissance aux citoyens. Le projet du terminal de conteneurs de Contrecœur, mené par le port de Montréal, aurait-il pu représenter une belle occasion de troquer l'attribution d’un permis d'exploitation contre la cession pour fin de parc fluvial d’une petite part du rivage dans l’est de l’île ? Un tel scénario n’est venu à l’idée d’aucun de nos élus à Montréal, Ottawa ou Québec.

Pourquoi la vraie vie ne serait-elle pas ici ?

Sans tomber dans le redondant cliché de la « réinvention » et du « tout ne sera dorénavant plus pareil au sortir de la pandémie », des experts anticipent néanmoins que la demande en loisirs et tourisme risque d’être moins portée sur l’exotisme standardisé et les vacances-oisiveté au profit d’activités nature et de découverte du Québec. « La vraie vie serait-elle ici », pour reprendre le titre du manifeste de Rodolphe Cristin (Écosociété). Et si c’était le cas ? Le Québec est-il prêt à relever un tel défi ?

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