J’écris ces lignes à La Malbaie, sur les rives du Saint-Laurent. Contemplant l’eau d’un bleu étincelant, je me demande comment célébrer toute la nation dans toutes ses plus fines couleurs.

J’effectue un séjour dans Charlevoix parce qu’on m’a invité à prononcer quelques paroles dans le cadre du discours de la fête nationale, dont le spectacle sera diffusé le soir du 24 juin. Arrivé sur les lieux dimanche dernier, j’ai profité de l’occasion pour m’offrir quelques moments de villégiature (la moindre des choses après tous ces mois de confinement, n’est-ce pas ?).

Dimanche, aussitôt mes bagages déposés dans ma chambre d’hôtel, je me dirige vers le spa afin de réserver une séance de massage. La préposée à la réception, une femme d’une bonne humeur et d’une chaleur contagieuses, répond à mes questions et accueille ma demande de réservation avec enthousiasme. Puis elle s’affaire à noter les informations d’usage.

« C’est monsieur Corneille, c’est ça ? »

J’ai l’habitude des erreurs sur ma personne. Parmi les plus spectaculaires, un lecteur m’a déjà accusé d’être « trop émotif » dans le ton d’un texte qu’il venait de lire. C’était un texte écrit par Boucar Diouf. Mais être assimilé à la classe de Corneille ? Du nouveau pour moi.

En une seconde, mes yeux se sont écarquillés d’étonnement, j’ai affiché un sourire d’amusement et j’ai dévoilé doucement ma véritable identité. Je soupçonne que je l’ai alors un peu déçue, cette dame.

Entendons-nous bien, je ne m’attendais aucunement à être reconnu. J’ai en fait vécu ce moment avec humour et légèreté, tout en demeurant habité par des questionnements quant au sens de cet incident.

Tout au long de nos échanges, la préposée a fait preuve d’un grand professionnalisme. Certaines personnes diraient qu’il est préférable, en service à la clientèle, d’éviter de présumer de l’identité d’une personne. Je ne partage pas un tel reproche. La préposée savait que quelque 200 artisans débarqueraient à La Malbaie afin de contribuer au spectacle de la fête nationale. L’hospitalité toute naturelle dans un tel contexte invitait à reconnaître les visages familiers et à agir en conséquence.

Je suis plutôt fasciné par la recherche d’équilibre entre la pertinence de la familiarité avec Corneille et le risque de la familiarité uniquement avec Corneille. À mon sens, le premier phénomène mérite d’être salué. L’incident que je vous relate démontre que les images présentées par nos écrans permettent effectivement de mieux connaître les personnes qui y apparaissent. Ce constat en apparence simple n’en est pas moins utile au regard des enjeux de rapprochements interculturels. On ne peut connaître que les personnes qu’on voit.

En examinant ma participation à la fête nationale sous cet angle, je ne peux qu’être rempli de gratitude et d’espoir pour cet honneur. Une fleur sur le plan personnel, oui, mais je suis surtout conscient que de faire partie de ce grand spectacle québécois aux côtés de Corneille, justement, mais aussi de personnalités telles que Sarahmée, Nadia Essadiqi (La Bronze), Samian, le DStanley Vollant, Kim Thúy et Barnev Valsaint est une occasion de susciter, petit à petit, mais à grande échelle, des rapprochements qui favorisent à long terme l’évolution de l’identité québécoise. Il m’apparaît d’ailleurs que chacune de ces personnes, à sa façon, comprend bien cette responsabilité sociale qui découle de ce privilège de visibilité. L’équipe organisatrice de la fête nationale me semble aussi sincère dans son intention d’ouverture, ce qui constitue un cheminement dans la bonne direction.

Malgré tout, lorsque les réseaux de télédiffusion ou de radioffusion offrent une diversité limitée dans ses nuances, un effet pervers peut en résulter : les personnes nourries de ces réseaux peuvent se faire des représentations de la réalité tout aussi limitées.

Eu égard à certains sujets, les personnes exposées à ces représentations ainsi construites deviennent moins outillées à évaluer ce qui se présente à elles avec justesse.

Dans mon quotidien, la possibilité que je sois confondu avec Corneille est quasiment nulle. Inversement, dans un environnement où les personnes sont peu habituées à voir les multitudes de visages qui composent un groupe donné (les communautés noires, par exemple), on peut plus difficilement voir les nuances entre ces visages. En conséquence, on peut tomber dans le piège de percevoir la réalité selon des informations très partielles. L’équation « homme d’environ 6 pieds + Noir + coupe simili-carré + participant à la fête nationale = Corneille » devient plausible. Je soupçonne que c’est ce qui s’est produit pour la préposée.

Le problème peut sembler anodin, mais non. Il constitue un frein à ce que toute personne puisse être pleinement vue dans son individualité. Il serait bizarre de confondre Béatrice Picard et Rosalie Vaillancourt. Parce que les similitudes grossières entre elles n’engendrent pas cette confusion. Il devrait en être de même pour toute autre personne parce qu’une nation est composée de tous ces différents visages qui se joignent les uns aux autres sans se perdre.

Dans le cadre de cette fête nationale, je souhaite donc saluer ces visages connus qui, de leur appartenance à des groupes minoritaires, enrichissent notre paysage culturel, mais aussi ces visages moins célébrés par la grande industrie, mais qui tissent de façon tout aussi importante le paysage de notre nation.

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