Le 21 juin 2001, le FRAPRU a organisé une conférence de presse choc. Il avait en main des données compilées par ses groupes membres de Montréal et de Gatineau. Elles démontraient qu’en raison de la pénurie de logements qui s’amorçait, au moins 200 familles risquaient de se retrouver sans logis 10 jours plus tard, le 1er juillet. Pris de court par une situation qu’il n’avait jamais vécue auparavant, l’organisme réclamait des mesures inspirées de la crise du verglas survenue trois ans plus tôt : ligne téléphonique d’urgence, hébergement dans des gymnases d’écoles ou des sous-sols d’église, entreposage des biens, etc.

Les médias se sont emparés de la nouvelle, aussitôt niée par les autorités politiques pour lesquelles il était exagéré de parler de crise du logement. À leur avis, le 1er juillet 2001 serait « comme les autres ». Pendant plusieurs jours, le FRAPRU a multiplié les entrevues souvent accompagnées de témoignages de familles désespérées de ne pas trouver un logement à l’approche de la date fatidique, avec trois, quatre ou cinq enfants.

En fin d’après-midi, le 27 juin, le gouvernement québécois a finalement cédé à la pression, en se disant prêt à accorder une aide financière d’urgence, sous forme de supplément au loyer, à 500 ménages qui ne se seraient pas trouvé un logement à temps pour le 1er juillet.

La Ville de Montréal, qui, le matin même, refusait encore d’intervenir, a emboîté le pas. Les faits allaient donner raison au FRAPRU, les 500 suppléments au loyer d’urgence annoncés par le gouvernement québécois ayant tous été utilisés dans les semaines suivantes.

Une crise différente, mais toujours une crise

La crise vécue en 2001 consistait grosso modo en un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements. Dans les années 1990, la construction résidentielle privée avait été au ralenti, particulièrement dans le secteur locatif. La réalisation de logements sociaux, elle, était quasiment tombée à zéro en raison du retrait fédéral du financement de ce type de logements depuis le 1er janvier 1994. La demande d’appartements, elle, était alimentée par la formation de nombreux ménages due à une embellie économique. C’est ce qui explique la chute brutale des taux de logements inoccupés qui, dès l’automne 2001, étaient à 0,6 % dans les régions métropolitaines de Montréal et de Gatineau et à 0,8 % dans celle de Québec.

Vingt ans après, le Québec est plongé dans une nouvelle crise du logement qui est toutefois différente et, jusqu’à un certain point, plus profonde.

Dans les régions métropolitaines de Montréal, Gatineau et Québec, les taux généraux d’inoccupation sont plus élevés qu’en 2001, la construction de logements locatifs étant au rendez-vous depuis plusieurs années. Malgré cela, de très nombreux ménages peinent à se trouver un logement et risquent de se retrouver sans logis le 1er juillet.

Les grands logements, ceux pour les familles avec enfants, se font en effet rarissimes à Gatineau où le taux d’inoccupation des appartements de trois chambres à coucher et plus n’est que de 1,0 %, selon l’enquête sur les logements locatifs menée à l’automne 2020 par la SCHL. Dans des arrondissements montréalais comme ceux de Rosemont–La Petite-Patrie, Montréal-Nord et Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, il varie entre 0 % et 0,3 %. Même chose dans de nombreuses villes des couronnes nord et sud de Montréal.

Les logements à plus bas loyer, ceux que les ménages à faibles et modestes revenus ont les moyens de se payer, sont également beaucoup plus rares que l’ensemble. Sur l’île de Montréal, le taux de logements inoccupés n’est que de 1,0 % pour les appartements se louant moins de 600 $ par mois et de 1,6 % pour ceux dont le loyer se situe entre 750 $ et 899 $. À l’opposé, il est de 6,7 % pour les logements se louant plus de 1000 $ par mois.

Cette fois, c’est la nature même du marché privé de l’habitation qui est en cause. De grands promoteurs immobiliers, dont des fonds de retraite et d’investissement, construisent des appartements à loyer très élevé, de surcroît destinés à des ménages de petite taille comme des célibataires ou des couples sans enfant. Pendant ce temps, les loyers des logements existants, eux aussi de plus en plus accaparés par de grands investisseurs, explosent, particulièrement lors du départ volontaire ou forcé des locataires qui y demeuraient jusque-là. Quant à la réalisation de nouveaux logements sociaux, elle piétine depuis des années.

La crise du logement est aussi plus étendue et variée qu’il y a 20 ans. Ainsi, c’est à une pénurie générale de logements locatifs que font face de nombreuses régions qui avaient été peu près épargnées par la pénurie du début des années 2000. Les taux de logements inoccupés sont inférieurs à 1,5 % dans des villes aussi éloignées et diversifiées que Sherbrooke, Trois-Rivières, Rimouski, Gaspé, Joliette, Granby et Rouyn-Noranda, étant carrément de 0 % aux Îles-de-la-Madeleine.

À l’approche du 1er juillet, le gouvernement caquiste, tout en mettant en place des mesures d’urgence, se garde de prononcer les mots « crise du logement », exactement comme les autorités politiques le faisaient en 2001.

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