Les 11, 12 et 13 juin, se tiendra à Carbis Bay, au Royaume-Uni, un nouveau Sommet du G7. Premier en « présentiel » depuis le début de la pandémie de COVID-19, premier tout court pour Joe Biden.

Quels sont les enjeux de ce sommet et que peut-on en attendre ? Avant de répondre, faisons un peu de généalogie.

Le G7, qui regroupe aujourd’hui les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Japon, voit le jour au milieu des années 1970 à la suite du premier choc pétrolier. Son objectif affiché est alors de permettre aux chefs d’État et de gouvernement des pays les plus industrialisés de se réunir annuellement dans une ambiance décontractée, loin de tout protocole, afin de discuter en toute franchise des affaires du monde.

Mais ça, c’est pour la version officielle. La vérité est un peu différente. Le véritable dessein derrière la création du G7 est plutôt d’offrir aux grandes puissances un moyen de contourner l’ONU – dont le Conseil de sécurité est alors, il est vrai, régulièrement bloqué par les vetos de l’Union soviétique –, et de décider entre elles des grandes orientations internationales. D’où le sobriquet – selon moi mérité – de « directoire mondial des pays riches » qui sera très vite attribué au Groupe des 7.

Au cours des trois décennies suivantes, marginalisant de plus en plus en plus les Nations unies – une des raisons à l’origine de la crise du multilatéralisme dans laquelle nous sommes aujourd’hui plongés –, le G7, bénéficiant de la vague néolibérale impulsée par Reagan et Thatcher, continuera à s’institutionnaliser et à se renforcer jusqu’à accueillir, durant un moment, en son sein la Russie et à ouvrir ses réunions aux représentants de l’Union européenne.

Mais qu’en est-il de nos jours ?

Le G7 représente certes encore aujourd’hui environ 58 % de la richesse nette mondiale, plus de 46 % du produit intérieur brut mondial basé sur les valeurs nominales, et plus de 32 % du PIB de la planète basé sur la parité de pouvoir d’achat, mais sa légitimité – au contraire de celle du G20, plus représentatif du nouvel ordre international – est de plus en plus contestée et le modèle politique de ses membres, celui de la démocratie libérale occidentale, semble avoir perdu son pouvoir d’attraction.

À l’heure de la Chine et des autres contre-modèles politiques, de la montée en puissance de nouveaux géants économiques tels l’Inde et le Brésil et des velléités d’expansion d’une Russie qui renoue avec ses vieux démons, le G7, dont l’influence politique planétaire est en déclin, ressemble un peu plus chaque année à un club de riches vieillards. Des vieillards un peu perdus face à l’émergence d’un monde nouveau qu’ils ne comprendraient pas.

Que peut-on donc attendre du sommet de Carbis Bay qui s’ouvre dans quelques jours ? Concrètement, pas grand-chose. Rien en tout cas qui n’aurait pu être traité en dehors du spectacle politico-médiatique qui s’annonce.

Pour le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, hôte de la réunion, ce sommet se veut celui de la reconstruction post-COVID. Pour Justin Trudeau, qui se rendra finalement à Carbis Bay, l’un des principaux objectifs est d’y œuvrer à faciliter l’accès aux vaccins contre la COVID-19 partout dans le monde. Quant à Joe Biden, ce G7 est pour lui une occasion de fédérer autour des États-Unis les principales démocraties dans sa croisade contre les nouveaux modèles d’autoritarisme en général, et contre la Chine en particulier, – le grand projet de sa présidence et au-delà de l’économie et autres affaires politiques, la véritable toile de fond du sommet des prochains jours.

C’est là que le bât blesse et que le Canada peut avoir une carte à jouer tout en contribuant à rendre la rencontre de Carbis Bay un tant soit peu constructive.

Car s’il est indiscutable que les tensions entre des régimes autoritaires, ou semi-autoritaires, et les démocraties libérales vieillissantes ne vont que s’accentuer au cours de la décennie à venir, il est moins certain que l’oncle Sam soit aujourd’hui le plus à même de proposer une image attractive du camp démocrate. Une république américaine qui, encore récemment, a pu sembler en état de siège : des éruptions de violence quasi quotidiennes, d’innombrables divisions au sein du pays, qu’elles soient culturelles, ethniques, religieuses ou politiques, des atteintes à répétition à l’état de droit et aux libertés fondamentales… Tout cela n’aide pas.

Du côté des autres membres du Groupe des 7, ce n’est guère mieux. Le Royaume-Uni est au bord de l’implosion, la France, en pleine crise identitaire, glisse vers l’islamophobie, l’Italie et le Japon connaissent une instabilité gouvernementale chronique, quant à l’Allemagne, ce n’est pas plus folichon.

Seul le Canada semble encore, pour l’instant, épargné par ces crises à répétition qui se répandent à travers les principales démocraties libérales de la planète.

Français vivant à New York, je n’ai évidemment pas de leçons à donner aux Canadiens et à leurs dirigeants. Mais, observateur attentif, je connais assez bien leur pays – sans l’idéaliser ni méconnaître ses zones d’ombre et ses problèmes internes – pour savoir qu’il est aujourd’hui le seul membre du G7 à même de pouvoir offrir comme contre-exemple aux nations qui seraient tentées par le modèle autoritaire le visage d’une démocratie parlementaire et multiculturelle apaisée, à la fois empreinte de traditions et de modernité.

Alors, Trudeau nouveau leader du monde libre ? Je n’irai pas jusque-là, mais le premier ministre du Canada a bien une carte à jouer pour son pays et le monde dans le combat qui s’annonce pour la sauvegarde de systèmes qui ont permis l’expansion des libertés et des droits de la personne.

Une carte à jouer dans les prochains jours au G7, en soutenant Biden et son projet d’« alliance des démocraties », mais en lui imposant également des conditions afin que cette entreprise ne soit pas qu’une coquille vide et que ses architectes puissent puiser des idées dans la recette du Canada, indéfectible champion – imparfait sans doute, mais bien plus présentable que les États-Unis – de la démocratie et du vivre-ensemble et dont l’exemple pourrait sans trop d’embarras servir de vitrine au camp démocrate.

Justin Trudeau aura-t-il la force et le talent nécessaires pour s’imposer dans cette affaire ? Pour faire comprendre au président américain que d’autres voix que celle des États-Unis doivent contribuer à porter son projet, celle du Canada, bien sûr, mais celles aussi de « petites » démocraties comme la Suisse, dont le système basé sur la participation est un succès ?

Espérons-le, car, si d’une manière ou d’une autre le gant n’est pas relevé par des acteurs crédibles, si nous ne parvenons plus à rendre attractif l’idéal démocratique, l’histoire pourrait bientôt décider d’apporter une réponse positive au philosophe français Jean-François Revel qui en d’autres temps et dans d’autres circonstances se demandait si la démocratie, alors déjà quelque peu souffreteuse, n’était pas qu’une infime péripétie, une parenthèse dans l’histoire.

Le rendez-vous est donc donné à Carbis Bay.

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