Une preuve de l’incompréhension des milieux professionnels à l’égard de la maladie mentale

Naomi Osaka, deuxième joueuse de tennis du monde, s’est retirée du prestigieux tournoi de Roland-Garros à la suite d’un désaccord avec les organisateurs au sujet de sa participation aux conférences de presse d’après-match.

Mme Osaka, 23 ans, avait annoncé qu’en raison de l’anxiété profonde que provoquent chez elle ces rencontres avec les journalistes, elle n’avait pas l’intention de se prêter à l’exercice cette année. Les organisateurs du tournoi lui ont imposé une amende de 15 000 $ US. Dans le message Twitter annonçant son retrait du tournoi, la joueuse a confié avoir souffert de « longs épisodes de dépression » depuis sa victoire au US Open en 2018.

La décision du tournoi de punir Naomi Osaka pour ce qui relève d’un problème de santé mentale est troublante. Imposerait-on une amende à une joueuse qui se retire d’un tournoi en raison d’un problème de dos ? Bien sûr que non. Alors pourquoi punir une athlète qui avoue souffrir d’une lancinante blessure psychologique ?

L’évènement a amené les patrons des quatre tournois du Grand Chelem à publier un communiqué commun dans lequel ils soulignaient la responsabilité des athlètes « de discuter avec les médias, peu importe le résultat de leur match, une responsabilité que les joueurs prennent pour le bien du sport, des partisans et pour eux-mêmes ». Par ailleurs, on ne manquait pas de menacer Osaka de sanctions supplémentaires, allant jusqu’à l’expulsion des tournois.

L’attitude des patrons du tennis professionnel à l’égard de Naomi Osaka révèle une profonde incompréhension des maladies mentales que sont l’anxiété et la dépression chroniques. Je ne suis un expert ni en tennis ni en santé mentale, et je ne connais évidemment pas personnellement Mme Osaka. Mais je sais d’expérience que l’anxiété et la dépression provoquent souvent un mécanisme de retrait, un moyen d’autodéfense pour éviter les situations qui ont pour effet d’aggraver les symptômes.

Le retrait peut aussi servir de message, d’appel à l’aide destiné à un milieu qui ne comprend pas, ou qui refuse de comprendre la gravité de la maladie.

Dans mon cas, en tout cas, la dépression a provoqué plusieurs de ces manœuvres, sortes de « suicides professionnels » qui, je l’espérais, éveilleraient mon entourage de travail à la gravité de la situation et l’amènerait à me tendre la main. Malheureusement, le message n’a pas passé, et je me suis retrouvé Gros-Jean comme devant. Or, la situation de Naomi Osaka est mille fois plus grave, si l’on tient compte de l’incroyable pression qu’elle subit, non seulement comme star internationale, mais aussi comme héroïne de deux pays et de millions de personnes racisées.

Bien sûr, on ne peut exclure que Naomi Osaka ne soit qu’une enfant-reine, incroyablement douée et choyée par la vie, et qui cherche à se défaire de l’une des obligations qui incombent aux super-vedettes du sport. Par contre, en matière de maladie mentale, il vaut mieux appliquer le principe de précaution.

Corriger le tir

Mardi, les patrons des tournois du Grand Chelem ont voulu corriger le tir en publiant un second communiqué reconnaissant que « la santé mentale est une question très difficile […] à la fois complexe et personnelle, puisque ce qui affecte une personne peut ne pas avoir d’impact sur une autre ». « Nous félicitons Naomi d’avoir partagé dans ses mots les pressions et les anxiétés qu’elle ressent. »

En effet, les maladies mentales sont un phénomène complexe. Avant d’atteindre le stade des conséquences catastrophiques, les maladies mentales sont généralement invisibles à l’œil nu.

Souvent, l’entourage proche et, surtout, le milieu professionnel ne détectent pas les signaux de détresse envoyés par le ou la malade.

Dans leur premier communiqué, les organisateurs des quatre grands tournois du circuit de tennis professionnel semblent s’étonner que malgré leurs tentatives, Mme Osaka n’ait pas répondu à leurs appels. Ils y voient un refus de recevoir de l’aide. J’y vois plutôt une preuve supplémentaire de détresse. Paradoxalement, devant une main tendue peu familière ou malhabile, la malade peut se recroqueviller sur elle-même. Il faut savoir s’y prendre. Je ne sais pas comment faire exactement, mais je ne pense pas me tromper en disant que menacer la personne de sanctions de plus en plus sévères se révélera certainement contre-productif.

Naomi Osaka est une grande joueuse de tennis, une brillante carrière l’attend. Cependant, pour que le fruit mûrisse, elle doit être aidée, soignée, comprise. La punir, la traiter en délinquante ne fera qu’aggraver sa situation et, à la longue, risque de gravement miner son parcours, voire de la projeter dans une longue descente aux enfers. Ce serait d’autant plus triste que c’est évitable.

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